Vient de paraitre Mercedes BLANCO, Góngora heroico. Las « Soledades » y la tradición épica, Madrid, CEEH (Centro de Estudios Europa Hispánica), 2012, 443 p.
En partant de quelques réécritures restées pour la plupart inaperçues d’épisodes et de motifs de la Jérusalem délivrée du Tasse, cet ouvrage montre que la création de Góngora maintient avec la tradition épique deux relations opposées qui sous-tendent tous les aspects du poème.
D’un côté, le poème met à mal les fondements du poème épique, d’après la doctrine qui fait autorité en Espagne, celle du Tasse dans les Discorsi del poema eroico : l’action historique, la fable et le suspense, la tension dramatique du récit. Et pourtant Góngora adopte les motifs, la rhétorique et les habitudes stylistiques du poema eroico, en les radicalisant et les intensifiant. Les Solitudes se proposent comme exemplaire unique d’un genre impossible que l’on pourrait dénommer « épopée de la paix », expression forgée par Chapelain pour la princeps parisienne de l’Adone de Marino (1623).
Dans la poétique d’Homère, telle qu’elle fut considérée par la critique de l’Antiquité et de la Renaissance, Góngora trouva le modèle de certaines techniques responsables de la qualité visuelle d’une écriture qui renouvelle la représentation du monde suivant le modèle de la peinture et en particulier du paysage. De la tradition épique proviennent également les éléments du passage de la Première Solitude connu comme « discours des navigations ». Ce discours inclut une sorte de mappemonde paradoxale, car dépourvue de noms géographiques, mais capable néanmoins de faire imaginer avec délectation les vastes espaces d’une Terre nouvellement connue et dont la connaissance ne cesse de progresser. Il offre, en mettant en branle la trace mémorielle chez les lecteurs de son temps des cartes récentes des grandes régions de la terre, une synthèse des méditations et des rêveries que suscite la révolution géographique de l’époque moderne.
Incidemment cette étude monographique d’un poème est aussi une entreprise comparatiste qui permet de suivre, par exemple, les échos des Silves de Politien, du Roland furieux de l’Arioste, de la Jérusalem délivrée du Tasse, des Panégyriques de Claudien et de l’Iliade et l’Odyssée d’Homère dans l’Espagne du Siècle d’Or. Il ne s’agit pas de considérer de manière descriptive et complète la réception de ces œuvres, mais de déceler ce qui dans cette réception permet et prépare un effort créatif sans précédents. De la même manière, on peut y voir l’écho en Espagne des questions esthétiques et théoriques largement débattues dans l’Italie de la seconde moitié du XVIe siècle à la suite de la réception de la Poétique d’Aristote et de son application à la quête d’un poème épique moderne.
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