Extrait de l'avant propos
Cet ouvrage est le premier à prendre en compte toutes les toiles espagnoles du musée des Beaux-Arts de Lyon, depuis le XVe jusqu’au XXe siècle. Il fait suite à un premier livre qui a été publié en 2012 et qui analysait uniquement les toiles du XVe au XVIIe siècle : La Peinture espagnole au musée des Beaux-Arts de Lyon. Peintures anciennes (Lyon, Grimh, 2012), dans un format bien plus petit que celui-ci. Ce livre étant épuisé, il m’a été demandé de le rééditer. Je profite de cette réédition pour apporter quelques éléments nouveaux aux analyses déjà réalisées, et surtout pour intégrer l’étude des œuvres des XIXe et XXe siècles. Le lecteur-spectateur a donc, sous ses yeux, une vision d’ensemble d’une collection non négligeable – dix-huit œuvres (dix-neuf, si l’on estime que Scènes de la vie de saint Michel de Miguel Alcañiz est composée de deux panneaux) – dans un lieu prestigieux, le musée des Beaux-Arts de Lyon qui est considéré comme la deuxième pinacothèque de France, après le musée du Louvre à Paris.
Le sujet d’un tel ouvrage peut paraître surprenant : « La peinture espagnole au musée des Beaux-Arts de Lyon ». En effet, même si les noms des peintres espagnols sont extrêmement connus, dans le monde entier – Velázquez, Goya, Picasso, Miró…-, les toiles espagnoles n’attirent pas, de prime abord, le visiteur du musée des Beaux-Arts de Lyon. Cela peut s’expliquer, en grande partie, par le peu d’importance accordée aux études sur la peinture espagnole dans les parcours d’histoire de l’art en France, même s’il existe de grands spécialistes français, historiens de l’art et/ou hispanistes.
Pourtant, il existe un certain attrait pour la peinture espagnole qui remonte, en France, à la première moitié du XIXe siècle, avec la présentation de la collection de peinture espagnole du roi Louis-Philippe au musée du Louvre entre le 7 janvier 1838 et le 1er janvier 1848. Ce cadeau royal fut un facteur décisif, non seulement pour faire connaître la peinture espagnole au public français, mais aussi, et surtout, pour l’impact que cette exposition put avoir sur les artistes français de l’époque. Si avant les jeunes peintres ou sculpteurs partaient nécessairement en Italie, l’Espagne devient un autre lieu de découverte et d’inspiration. Ces voyages furent très importants pour les artistes des avants gardes des XIXe et XXe siècles comme Manet, Delacroix, Millet, Degas…
Il faut reconnaître, aussi, que ces dernières années, un effort a été réalisé pour mieux faire connaître la peinture espagnole auprès du grand public, avec des expositions importantes sur Velázquez au Grand Palais à Paris, du 25 mars au 13 juillet 2015 ; sur Le Greco, encore au Grand Palais à Paris, du 14 octobre 2019 au 10 février 2020 ; sur Picasso et ses baigneuses, au musée des Beaux-Arts de Lyon, du 16 décembre 2020 au 3 janvier 2021 ; sur Zurbarán et son Saint-François au musée des Beaux-Arts de Lyon, du 5 décembre 2024 au 2 mars 2025. Le peu d’intérêt pour la peinture espagnole au musée des Beaux-Arts de Lyon, pour le visiteur, peut s’expliquer aussi par le fait que la peinture espagnole est disséminée dans deux petites salles, dont une est un palier d’escalier, où a été accroché le chef d’œuvre de Francisco de Zurbarán, Saint François d’Assise. Les peintures contemporaines, notamment celles de Picasso et Le Canapé de Tàpies trouvent leur place à côté d’autres œuvres contemporaines, ce qui permet de riches dialogues entre les œuvres d’autres artistes, de courants et de pays parfois très différents.
En écrivant cet ouvrage, j’ai toujours eu plusieurs objectifs en tête :
1. présenter, enfin, au grand public, l’ensemble de cette collection espagnole. Par « grand public », j’entends les lecteurs-spectateurs intéressés par la culture hispanique qui souhaitent parfaire leur connaissance de la peinture espagnole, les amoureux de la peinture qui pourront trouver dans les analyses, non seulement les cadres historiques, religieux et philosophiques qui permettent de mieux contextualiser l’œuvre, mais aussi une approche plus esthétique. Pour cela, je me suis servi, non seulement des recherches en histoire de l’art mais aussi des études dans le domaine hispanique, sans oublier les dossiers que l’on peut consulter auprès du service de la documentation du musée des Beaux-Arts de Lyon. J’espère que ces analyses attireront l’attention du visiteur qui prendra un peu plus de temps pour contempler ces chefs-d’œuvre espagnols.
2. proposer des analyses précises et détaillées qui présentent les œuvres dans leur spécificité. Montrer, qu’en plus de la contextualisation qui est fondamentale, il faut considérer l’œuvre à partir des outils que l’artiste a utilisés pour la créer. C’est ce que l’on appelle les invariants, ce qui, « invariablement », revient dans la plupart des analyses des œuvres : la composition ou la structure, la lumière, les couleurs ou la palette chromatique, le genre, le courant artistique, les dimensions, le format… Nous viendrait-il à l’idée d’analyser un poème sans parler de versification ? ou d’expliquer un extrait de roman sans aborder la place du narrateur ? ou d’analyser une séquence filmique sans parler de cadrage, de son, de traveling ? Il en va de même pour la peinture. Le lecteur trouvera donc dans cet ouvrage une analyse – quand elle est possible – de tous ces différents invariants qui apportent du sens à la compréhension de l’œuvre.
3. espérer que cette méthode qui, j’en suis bien conscient, comporte ses avantages et ses inconvénients, puisse être utile au plus grand nombre, que le lecteur-spectateur puisse mieux comprendre comment se « lit », se « voit », se « décrypte » une œuvre. Il ne s’agit pas uniquement de mieux comprendre les œuvres espagnoles étudiées, mais aussi de proposer une méthode qui est tout à fait applicable à la plupart des autres tableaux de la peinture française, italienne, flamande, anglaise... Tout simplement, avoir les outils pour apprendre à mieux voir un tableau.
Comme le lecteur-spectateur pourra s’en rendre compte, j’ai dû doser au mieux l’équilibre entre les apports érudits et le souci de divulgation, sans oublier l’apport didactique afin que toutes et tous puissent trouver matière dans cet ouvrage. Ainsi, j’ai accordé un soin particulier aux titres, au sein des analyses, afin de proposer une vision rapide d’ensemble des éléments importants présents dans chaque œuvre. J’ai multiplié le nombre de détails pour permettre d’aller au plus près du tableau, d’en reproduire la matérialité. Je n’ai pas hésité à introduire des schémas explicatifs pour mettre en exergue la composition des œuvres lorsque cela me semblait pertinent. J’ai aussi systématiquement traduit en français les sources en espagnol et en anglais. Pour l’analyse des œuvres de Picasso, j’ai évité, autant que je le pouvais, les redites entre une œuvre et une autre, même si parfois cela était nécessaire pour une bonne compréhension du tableau. Ainsi le lecteur-spectateur peut lire l’explication d’un tableau de Picasso séparément des autres. Comme les recherches sont vivantes, et donc évolutives, ce QR code vous renvoie au site de la Villa Hispánica et vous propose de suivre, en temps réel, les apports de la recherche à l’analyse des œuvres étudiées dans cet ouvrage. Que le lecteur-spectateur n’hésite pas à communiquer ses remarques, impressions ou suggestions.
On pourra être surpris, et même frustré, de ne pas pouvoir apprécier les reproductions des nombreuses autres œuvres citées. Je ne cacherai pas que certaines institutions pratiquent des droits de reproduction d’image prohibitifs, même s’il s’agit d’ouvrage à destination d’un public étudiant et d’un tirage très limité.