Gérard Lavergne fait partie de la génération d’universitaires qui a enseigné à tous les échelons du système. Né le 17 septembre 1933 à Marrakech au Maroc, après avoir obtenu le baccalauréat en 1953, il entre à l’école normale Bein Sebaa. Les cinq premières années de sa carrière (1956-1961), il travaille d’abord en tant qu’instituteur, puis comme Professeur d’Enseignement Général (PEG) de Lettres au lycée technique Hassan II de Marrakech.
En 1961, il part à Dakar, où, tout en enseignant, il reprend ses études et obtient en 1965 un DES d’espagnol avec un mémoire sur le monde de l’enfance et de l’adolescence dans l’œuvre romanesque d’Ana Maria Matute. En 1968, il est lauréat du CAPES d’espagnol. L’année suivante, il est classé sixième à l’agrégation. Il est alors recruté par la faculté des lettres de Dakar comme assistant agrégé.
En 1973, il obtient un poste d’assistant à la Faculté des Lettres de Rabat. Il y enseignera jusqu’à 1980. Cette période sera pour lui l’occasion de découvrir les récents travaux français en narratologie par l’intermédiaire d’Aziza Benaïm. Il prépare sous la direction du professeur Jean-Louis Fleckniakoska un doctorat intitulé Vie et œuvre de la romancière Concha Espina, qu’il soutient en 1979.
Après son doctorat, il intègre l’enseignement supérieur français comme assistant à la faculté de lettres de Nice en 1981. Il y fera toute sa carrière. En 1985, il y devient Professeur des Universités.
Lors des années passées au sein du département d’Espagnol, il assure sa part de charges administratives, qu’il considérait comme partie intégrante de sa mission : direction du département, présidence de la commission de spécialistes, membre du conseil scientifique et direction du DEA littératures et civilisations, qui réunissait l’ensemble des langues et lettres.
Ses étudiants se souviennent du professeur aimable, passionné,toujours rigoureux. C’était la rigueur du professeur de thème, ou celle du préparateur aux questions de concours. Il s’y engageait comme un sportif prépare un marathon. Indéfectiblement, une habitude prise depuis sa préparation de l’Agrégation, il arrivait sur le campus très tôt le matin. Quand il devint possible d’avoir recours à des bibliographies compilées de différentes bases de données, il sollicitait les bibliothécaires pour avoir toutes les références existantes, ce qui n’était pas une mince affaire pour les questions de littérature espagnole contemporaine, sa spécialité. Il écrivit plus d’une vingtaine d’articles sur le sujet et une version en castillan de son doctorat a été publiée par la FUE en 1986.
Sa carrière à Nice est aussi marquée par le début d’une longue et fructueuse amitié avec Jean-Louis Brau, avec qui il crée en 1984 le CNA (Centre de Narratologie Appliquée). Gérard Lavergne en assurera la direction jusqu’à son départ en retraite en juin 2000. Malgré les obstacles administratifs rencontrés à l’échelon local, principalement dus à des querelles syndicales, l’unité de recherche est reconnue Équipe d’Accueil. À vocation pluridisciplinaire, chose rare à cette époque, le centre organise de nombreux colloques internationaux et publie la revue Cahiers de narratologie en 1987. Les séminaires et les colloques du CNA deviennent rapidement des références pour la narratologie française, et d’illustres théoriciens et théoriciennes s’y croisent tels que Mieke Bal ou Vincent Jouve. Plus qu’un directeur, Gérard était un véritable moteur pour le centre. L’accueil chaleureux qu’il faisait à tous les collaborateurs occasionnels était souvent le gage de liens indéfectibles dans le futur. Il en était de même avec les membres de l’unité. Quand toute une jeune génération d’enseignants-chercheurs arriva à l’université dans les années quatre-vingt-dix, il fit tout son possible pour que ces nouveaux collègues aient toute leur place dans le laboratoire et puissent eux-mêmes participer très activement aux orientations scientifiques et éditoriales. Beaucoup des nouveaux arrivants, malgré la différence d’âge pouvaient dire qu’il était leur ami avant d’être le directeur de leur unité de recherche. Gérard fait partie de ceux qui ont créé et fait fonctionner des structures dans l’intérêt collectif pourrait-on dire, de façon désintéressée et uniquement motivé par une grande curiosité scientifique.
Gérard Lavergne a consacré entièrement ses années d’activité à l’université, à l’hispanisme et à la narratologie. Ce qu’il a contribué à construire et transmettre a continué à évoluer. Ce n’est pas un hasard si la revue Cahiers de narratologie existe toujours et si elle est devenue une référence pour la narratologie francophone. Il en va de même pour le CNA, qui est maintenant un grand laboratoire interdisciplinaire de l’université de Nice sous l’acronyme LIRCES, mais où les hispanistes occupent une place importante.
Tous ceux qui l’on côtoyé gardent le souvenir de l’hispaniste passionné et de l’universitaire exemplaire et, plus encore, celui d’un grand monsieur à la moustache blanche, un homme aimable, chaleureux et profondément humain.
Marc MARTI