C'est avec une profonde tristesse que nous apprenons le décès de Pierre Malerbe, le 22 mars, à Toulouse.
Nous reproduisons, ci-après, le texte d'hommage rédigé par ses anciens collègues et diffusé sur l'ENT de l'Université de Toulouse Jean Jaurès.
Pierre Malerbe est décédé à Toulouse le 22 mars 2022. Il était né en 1932. L’essentiel de la carrière universitaire du «parisien de Toulouse» Pierre Malerbe s’est déroulée jusqu’à sa retraite en 1992 à l’Université de Toulouse-Le Mirail, à ce qui était alors l’UER d’Études Hispaniques et Hispanoaméricaines, où il est arrivé comme assistant en 1969 après son séjour de recherche comme pensionnaire de la Casa Velazquez de 1966 à 1969. Issu au départ d’un cursus complet à Sciences Po Paris il se tourne vers les études hispaniques, notamment linguistiques, toujours à Paris, à la suite de sa rencontre imprévue avec l’enseignement du regretté Maurice Molho (1957). Ce parcours a débouché sur l’agrégation obtenue en 1960 et une carrière d’enseignant entamée au Lycée Lakanal et à l’Université de Lille. Auparavant son long service militaire s’ est effectué entièrement en Algérie dès les débuts de la guerre(1954-1956). Ses séjours avec ses parents un temps enseignants en Êquateur (1945-1947) l’ont très tôt familiarisé avec la langue espagnole, et à Madrid s’affirme un profond attachement au mode de vie madrilène associé à une passion pour la culture et l’histoire espagnoles, objets de ses recherches, que ce normand d’origine rurale, issu d’une lignée de normaliens, parisien de cœur du 5° arrondissement, cultivera avec bonheur tout au long de sa vie, dont la fin sera endolorie par la maladie de Claudette son épouse.
Tournée vers l’histoire sociale, l’économie et la politique à la charnière des XIXe et XXe siècles son activité de chercheur se concrétise dans de nombreux ouvrages et articles remarqués – on ne les citera pas tous ici – comme entre autres sa participation au tome IX de la monumentale «Historia de España» des éditions Labor ou «La oposición al franquismo. (1939-1975)» (Siglo XXI ed.). Il offre aux étudiants (et aux autres), sous le nom de Pierre Conard Malerbe, un indispensable « Guía para el estudio de la historia contemporánea de España » toujours aux éditions Siglo XXI. Ses publications peuvent porter aussi bien sur l’évolution du prix du pain que sur les écrits politiques de Ortega y Gasset. Il participe activement dès le début aux inoubliables rencontres de Pau, colloques d’histoire contemporaine qui à partir de 1970 réunissent autour de Manuel Tuñón de Lara et des spécialistes français les historiens espagnols les plus confirmés qui y trouvent une liberté d’expression et d’écoute impossibles sous le franquisme.
Fondamentalement Pierre Malerbe se veut enseignant au sens le plus simple et fort du terme. Cette vocation et l’énergie qu’elle demande, un certain scepticisme aussi, le détournent de la production de la thèse d’état et de l’accès à la classe professorale perçue dans les débats de l’époque comme «mandarinale». Il est très engagé, avec Antonio Fernández Pérez, dans la mise en place de la filière Langues Étrangères Appliquées alors appelée pudiquement «Deug C» et souvent mal acceptée par les plus traditionnalistes. Il y veille à mettre l’accent sur la solidité de l’orientation économique et sociale, la spécificité de la traduction commerciale. Les étudiants se souviennent de sa présence aussi encourageante qu’exigeante, de sa rigueur comme de son humour.
Au tournant de la mise en route des réformes et réorganisations de l’après 68, le bon fonctionnement de la section d’Espagnol doit beaucoup à l’implication discrète et persévérante de Pierre Malerbe dans les tâches indispensables que tous n’acceptent pas. Membre, sous la houlette de Lucien Dupuis, du premier bureau de gestion enfin élu il se consacre pleinement à cette tâche quotidienne. Il s’attache aussi à poursuivre l’ancien travail de constitution du fonds de la Bibliothèque Hispanique qui finit par devenir au fil des années un fonds important et reconnu de recherche et consultation que malheureusement notre université dissoudra et détruira à l’orée du siècle suivant. Autre tâche obscure et prenante menée avec rigueur : le suivi des équivalences lors des inscriptions qui prend bien un mois lors des rentrées successives. Tout cela sans illusion utopique ni vain cocorico.
Sens du devoir, rigueur et minutie ont pu s’allier au fil de ce parcours d’une autre époque à un humour souvent décapant, à une passion dévorante pour la littérature et la lecture. Le redémarrage de notre université et de la section d'Espagnol lors de son transfert hors les murs et de sa transformation post 68 lui doit beaucoup.
Ce texte est porté par les anciens collègues de Pierre Malerbe : Michelle Débax, Jean Alsina, Antonio Fernández Pérez et Enrique Fraga