APPEL à COMMUNICATIONS
Colloque international
L’Ère du trauma et de la mémoire : le rôle de la littérature dans la reconfiguration des sens et des récits dans les contextes (post)conflictuels
16, 17 et 18 juin 2026, Université de Tours
Les grands génocides du siècle dernier et les revendications de justice qui les ont suivis ont provoqué un tournant mémoriel des sciences humaines et sociales. Au cours des dernières décennies, les études sur le trauma et la mémoire sont devenues un domaine interdisciplinaire florissant, qui réunit les chercheurs venant de la psychologie, la philosophie, la théorie littéraire et les études culturelles. Des théoriciens de premier plan, tels que Cathy Caruth, Dominick LaCapra et Shoshana Felman, ont beaucoup contribué à une meilleure compréhension de la nature répétitive et différée du traumatisme ainsi que des difficultés épistémologiques et éthiques liées à l’exploration de cet objet d’étude.
Des textes fondateurs récents, dont The Routledge Companion to Literature and Trauma (2020) et Trauma and Literature de Roger Kurtz (2018), mettent en évidence le rôle actif de la littérature non seulement dans la construction de la mémoire collective et de l’identité culturelle mais également dans le travail de reconstruction à l’échelle des individus et des sociétés. Des chercheurs comme Astrid Erll introduisent la notion de mémoire transculturelle et préconisent des études des traumatismes qui transcendent les frontières nationales, tandis qu’Ana Hultgren et Chris Andrews mettent l’accent sur les formes transnationales et transmédiales de la mémoire à travers des concepts de mémoire itinérante, de postmémoire et de mémoire prothétique. Ces recherches concourent à l’élaboration d’un cadre théorique permettant de clarifier la manière dont la littérature contribue à créer une empathie transnationale, à favoriser les réponses éthiques aux traumatismes et à promouvoir la compréhension intercommunautaire. En même temps, des voix critiques, telles que Joshua Pederson et Roger Luckhurst, mettent en garde contre l’universalisation des récits de traumatismes et l’esthétisation de la souffrance, et rappellent la nécessité d’historisation aussi bien des situations traumatiques que des réponses narratives qu’elles appellent.
Le colloque « L’Ère du trauma et de la mémoire : le rôle de la littérature dans la reconfiguration des sens et des récits dans les contextes (post)conflictuels » répond au besoin de repenser la manière dont la littérature façonne la mémoire et raconte les traumatismes dans les contextes (post)conflictuels en se concentrant sur les conflits actifs, non résolus et en cours. Il vise à mettre l’accent aussi bien sur les formes narratives évoquant le traumatisme que sur la lecture et la réception, partant de la dimension performative de l’écriture. Dans cette optique, il s’agira d’interroger également la manière dont les lecteurs s’engagent dans les récits de traumatismes, souvent par-delà les divisions linguistiques, culturelles et géopolitiques, afin d’éclairer le rôle de la littérature en tant que moyen non institutionnel de justice transitionnelle, notamment dans des contextes d’impossibilité de la reconnaissance formelle (Honneth, 2008). La question de la spécificité de la réponse littéraire dans la polyphonie des discours sociaux en prise avec la tâche de reconfiguration des récits pourrait permettre de saisir sa fonction anthropologique dans les sociétés contemporaines, largement dominées par les nouveaux médias.
En s’appuyant sur des études de cas issues non seulement du contexte européen (avec un focus particulier sur la guerre en Ukraine), mais aussi celui du Proche-Orient, de l’Afrique, de l’Amérique latine et de l’Asie du Sud, le colloque entend encourager le dialogue entre différents régimes de mémoire et différentes pratiques culturelles de mise en récit en espérant ainsi parvenir à porter un regard théorique sur cet objet d’étude.
Les propositions pourront être articulées autour des axes suivants :
- Littérature en tant que mémoire active et archives culturelles: Quel rôle la littérature joue-t-elle dans la formation de la mémoire culturelle en tant qu’espace d’expression alternatif, notamment lorsque la sphère publique reste silencieuse ou répressive ? Quelle importance peuvent avoir les restitutions narratives de situations de violence extrême et les réponses littéraires aux conflits en cours ou non résolues, surtout quand ceux-ci ne permettent pas de déclencher les mécanismes de justice institutionnelle ?
- Perspective interdisciplinaire sur la poétique de la violence extrême et du traumatisme: Comment les textes littéraires intègrent-ils des techniques narratives et stylistiques telles que la fragmentation, le silence, la répétition, la métaphore et le retard narratif ? Comment ces procédés langagiers s’articulent-ils avec les mécanismes cognitifs et affectifs, mis en lumière par la recherche en psychologie (Caruth, 1996 ; van der Kolk, 2014), en philosophie de la mémoire (Ricœur, 2000 ; Assmann, 2016) et en théorie littéraire ? Ces expériences traumatiques peuvent-elles être saisies et donc dépassées en dehors du récit ? Existe-t-il un rapport à la violence qui ne soit pas médié par la narration ?
- Reconfiguration de la relation entre l’individu et la collectivité dans les récits de la violence extrême: Les sociétés post-industrielles sont des communautés d’autoréalisation individuelle, où le social est vu comme antipode du personnel (Beck, 2003 ; Gauchet, 2003). Or le dérèglement de ce cadre comportemental et axiologique dans les sociétés en conflit implique une révision profonde du rapport entre l’individu et la collectivité. Quelles formes alternatives les récits d’expériences traumatiques proposent-ils pour articuler l’individuel et le collectif, la sphère privée et l’espace public, l’intérêt particulier et/ou communautaire et le bien général ? Ce nouveau rapport entre l’individu et la collectivité se traduit-il par des mutations des modes de focalisation et des structures narratives ?
- Éthique et politique des récits de traumatismes: La publication des récits d’expériences de violence possède nécessairement une dimension politique et/ou idéologique, particulièrement dans les contextes de conflits non résolus et en cours. Peut-on éviter l’instrumentalisation de ces expériences ? De façon similaire, leur prise en charge par l’art peut-elle éviter l’écueil d’esthétisation de la souffrance (Sontag 1978 et 2003) ? L’éthique d’écriture et de lecture peut-elle déjouer les pièges de la politique ?
- Polyphonie des récits littéraires et ses implications épistémologiques et sociales : À la différence de plusieurs autres types de discours, la littérature s’attache à mettre en lumière des expériences et des perceptions incarnées et partielles, qui ne prétendent pas avoir une valeur totalisante. De ce fait, la part qu’elle accorde aux histoires traumatiques des communautés subalternes est révélatrice de son inconscient politique (Rancière, 1998). Quelle place les récits des conflits actuels réservent-ils aux expériences genrées et racisées de la violence ? De façon analogue, comment la recherche en sciences humaines et sociales tient-elle compte de la diversité culturelle et nationale des rapports au trauma pour en élaborer les modèles théoriques et les cadres conceptuels ?
Les propositions de panels qui croisent les différentes perspectives disciplinaires sur le même objet ou comparent les manifestations du même phénomène dans différentes aires socio-culturelles sont particulièrement bienvenues.
Modalités pratiques
Les propositions de communication d’environ 300 mots, accompagnées d’un titre et d’une brève biobibliographie, seront à envoyer avant le 1er février 2026 à : . Les décisions d’acceptation seront communiquées aux auteur·trices avant le 15 février 2026.
Les communications auront lieu en présentiel et pourront se faire en français ou en anglais.
Frais d’inscription : 50 €, à régler avant le 1er avril 2026.
Le colloque donnera lieu à une publication. La participation au colloque ne vaut pas engagement de publication, les textes remis à l’issue de celui-ci devant être soumis à une procédure d’évaluation par les pairs.
Comité d’organisation : Liudmyla Harmash (chercheuse invitée LE STUDIUM 2025-26 au sein de l’UR ICD), Roxana Ilasca, Emmanuelle Séjourné et Anna Krykun (ICD, Université de Tours).
Bibliographie sélective
Jeffrey C. Alexander, Ron Eyerman, Bernhard Giesen, Neil J. Smelser et Piotr Sztompka (dir.), Cultural Trauma and Collective Identity, Berkeley, University of California Press, 2004.
Chris Andrews, Post-Conflict Literature: Human Rights, Peacebuilding, and Cultural Memory, Londres, Routledge, 2016.
Aleida Assmann, Les Formes de l’oubli, Paris, Éditions du CNRS, 2016.
—, Les Ombres de la mémoire. La politique de l’identité en Allemagne après 1945, Paris, Éditions du Cerf, 2022 [2015].
Michelle Balaev, The Nature of Trauma in American Novels, Evanston, Northwestern University Press, 2012.
— (dir.), Contemporary Approaches in Literary Trauma Theory, New York, Palgrave Macmillan, 2014.
Laura Basu, Media Amnesia: Rewriting the Economic Crisis, Londres, Pluto Press, 2018.
Ulrich Beck, La Société du risque : sur la voie d’une autre modernité, trad. par Laure Bernardi, Paris, Flammarion, 2003.
Jens Brockmeiher, Beyond the Archive: Memory, Narrative, and the Autobiographical Process, Oxford, Oxford University Press, 2015.
Cathy Caruth, Unclaimed Experience: Trauma, Narrative, and History, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1996.
Stef Craps, Postcolonial Witnessing: Trauma Out of Bounds, New York, Palgrave Macmillan, 2013.
Jenny Edkins, Trauma and the Memory of Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.
Astrid Erll, « Travelling Memory », Parallax, vol. 17, n° 4, 2011, p. 4-18.
Shoshana Felman et Dori Laub, Testimony: Crises of Witnessing in Literature, Psychoanalysis, and History, Londres - New York, Routledge, 1992.
Marcel Gauchet, La Condition historique : entretiens avec François Azouvi et Sylvain Piron, Paris, Stock, 2003.
Yifat Gutman, Memory Activism: Reimagining the Past for the Future in Israel-Palestine, Nashville, Vanderbilt University Press, 2021.
Judith L. Herman, Trauma and Recovery: The Aftermath of Violence - from Domestic Abuse to Political Terror, New York, Basic Books, 1992.
Marianne Hirsch, Family Frames: Photography, Narrative, and Postmemory, Cambridge, Harvard University Press, 1997.
—, The Generation of Postmemory: Writing and Visual Culture After the Holocaust, New York, Columbia University Press, 2012.
Axel Honneth, Les Pathologies de la liberté : une réactualisation de la "Philosophie du droit" de Hegel, trad. par Franck Fischbach, Paris, la Découverte, 2008.
Ana Hutgren, « Transnational Memory and Literary Studies », Memory Studies, vol.14, n°3, 2021, p.250-265.
Roger Kurtz, Trauma and Literature, Cambridge, Cambridge University Press, 2018.
Dominick LaCapra, Writing History, Writing Trauma, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2001.
Alison Landsberg, Prosthetic Memory: The Transformation of American Remembrance in the Age of Mass Culture, New York, Columbia University Press, 2004.
Roger Luckhurst, The Trauma Question, Londres, Routledge, 2008.
Ewald Mengel et Michela Borzaga (dir.), Trauma, Memory, and Narrative in the Contemporary South African Novel, Amsterdam, Rodopi, 2012.
Marita Nadal et Mónica Calvo (éds.), Trauma in Contemporary Literature: Narrative and Representation, New York, Routledge, 2014.
Joshua Pederson, « Speak, Trauma: Toward a Revised Understanding of Literary Trauma Theory », Narrative, vol. 22, n° 3, 2014, p. 333-353.
Paul Ricoeur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000.
Michael Rothberg, Multidirectional Memory: Remembering the Holocaust in the Age of Decolonization, Stanford, Stanford University Press, 2009.
Debarati Sanyal, Memory and Complicity: Migrations of Holocaust Remembrance, New York, Fordham University Press, 2015.
Gabriele Schwab, Haunting Legacies: Violent Histories and Transgenerational Trauma, New York, Columbia University Press, 2010.
Susan Sontag, On Photography, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1978.
— , Regarding the pain of others, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2003.
Kalí Tal, Worlds of Hurt: Reading the Literatures of Trauma, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
Bessel Van Der Kolk, Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, Paris, Albin Michel, 2020 [trad. de The Body Keeps the Score, 2014].
Anne Whitehead, Trauma Fiction, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2004.
— (dir.), The Routledge Companion to Literature and Trauma, Londres, Routledge, 2020.
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