CAPES et formation des enseignants du 2nd degré/ Compte-rendu de l’entrevue entre le ministère de l’Enseignement supérieur, la SHF et la SLNL
La Société des Hispanistes Français de l’enseignement supérieur (SHF), représentée par sa vice-présidente Mme Ilda Mendes dos Santos, et la Société des Langues Néo-Latines (SLNL), représentée par son président M. Lauro Capdevila, ont été reçues le 13 juin 2013 au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche par M. Daniel Filâtre, conseiller au cabinet de madame la ministre, et M. Jean-Michel Jolion, chef du service de la stratégie de l’Enseignement supérieur.
L’entretien s’est déroulé pendant près de deux heures dans un climat d’écoute réciproque dont nous nous sommes félicités. À notre demande, il portait sur les nouvelles épreuves du CAPES et, plus généralement, sur le recrutement et la formation des enseignants du second degré.
La discussion s’est ouverte sur des points précis concernant certaines épreuves et modalités du concours telles qu’actuellement présentées. Nous avons exprimé le vœu que l’épreuve de traduction continue à comporter un thème et une version si le jury le souhaite. En effet, ces deux exercices permettent d’évaluer la maîtrise de compétences différentes et aussi indispensables les unes que les autres aux professeurs de langues vivantes. M. Filâtre nous a fait part du caractère récurrent de cette préoccupation, la question étant, semble-t-il, actée. Néanmoins, il s’est engagé à prendre l’attache de MM. Édouard Leroy, excusé, et Philippe Santana, respectivement conseiller au cabinet de monsieur le ministre de l’Éducation nationale et responsable des concours à la direction générale des Ressources humaines du même ministère, pour nous donner rapidement une réponse précise. M. Filâtre a ensuite tenu à souligner que le nouvel esprit des modalités de formation et recrutement impliquait que le concours n’avait pas pour vocation de vérifier chacune des différentes compétences mais qu’il s’agissait essentiellement de recruter les candidats afin de pourvoir les postes nécessaires.
Nous avons également rappelé notre souhait que l’épreuve de composition ne comporte pas, le cas échéant, « une question complémentaire sur l’exploitation dans le cadre des enseignements de la problématique retenue » comme le prévoit le texte. Cette disposition tend à rendre confus les objectifs de l’épreuve et à désorienter les candidats comme les formateurs. Là aussi, M. Filâtre nous a assuré que nous aurions une prompte réponse du ministère de l’Éducation nationale sur ce point précis, mais il a surtout insisté sur la rupture fondamentale qui préside à tous les changements en cours : dès le départ et tout au long de la formation la pédagogie sera dorénavant liée aux savoirs académiques dans un cadre professionnalisant.
La délégation de la SHF et de la SLNL a dit sa profonde inquiétude devant cette énième réforme et la façon dont elle est conduite sans concertation réelle avec les enseignants sur le terrain. La confiance affirmée dans la diplomation universitaire ne saurait masquer le fait que les étudiants qui arrivent en L1 n’ont en général bénéficié que de deux heures hebdomadaires d’enseignement de nos langues au lycée. Il ne suffit pas d’invoquer le sérieux des professeurs pour oublier que l’on peut obtenir sa licence en n’ayant pas la moyenne dans la discipline principale par le jeu des compensations. On ne saurait pas non plus se prévaloir de l’attachement des enseignants à l’avenir des élèves et des étudiants pour passer sur les taux d’échec à l’issue de la 1re année et les sorties sans diplôme de l’enseignement secondaire. Nous constatons que l’acquisition des connaissances est actuellement mise à mal et ce n’est pas en retirant de la formation disciplinaire des semaines supplémentaires de stage en M1 que l’on améliorera la situation.
Nous avons également souligné que nous ne nous inscrivions pas dans un supposé conflit entre tenants du disciplinaire et tenants du didactique. Nous craignons au contraire que tant le disciplinaire que le didactique soient victimes de cette réforme qui tombe d’en haut. On ne peut enseigner correctement que ce que l’on maîtrise bien et la didactique ne saurait se résumer à des déclarations d’intention ou à des corrections de copies forgées ou sorties de leur contexte d’enseignement.
Sur ces points, la réponse du Ministère est claire : il s’agit d’une rupture totale. Il a fait le pari de conserver la formation des enseignants au sein des universités et ces dernières se doivent de saisir cette chance. Qualifiant les changements ainsi évoqués de « renversement complet de perspective », M. Filâtre a précisé que si naguère la préparation au CAPES n’était pas diplomante, il n’en sera plus du tout de même avec la mise en place des masters des Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation (MÉEF). Le niveau sera attesté par la délivrance du M1, puis du M2, la pleine responsabilité des universités étant ici engagée. Cette confiance en la « diplomation » universitaire implique que le concours n’évaluera que certaines compétences et certains savoirs et qu’il « ne sera là que comme un acte de classement ».
En cohérence avec cette approche, « la formation ne sera surtout pas séquentielle, mais en biseau », c’est-à-dire qu’il n’y aura pas une première phase d’appropriation des savoirs et compétences académiques, suivie, après contrôle de leur correcte acquisition, d’un apprentissage de l’acte d’enseigner alliant pratique et théorie dans un retour réflexif sur les constats. Au contraire, le schéma retenu est de croiser de façon continue la dimension des savoirs et la dimension de leur enseignement, la part des premiers allant diminuant au profit de la didactique au fil des quatre semestres du MÉEF. A cet égard, M. Jolion, chargé de la stratégie, est intervenu pour rappeler le bien fondé et la réussite des Masters par alternance. M. Filâtre a insisté sur le fait que le ministère a tenu à conserver une formation intégrée comprenant la préparation et le concours au sein des universités.
C’est pourquoi, selon lui, les universités doivent s’investir pleinement dans cette mise en place et dans la qualité de leur diplomation. Le modèle sera « « testé » au sortir de la première promotion en 2015, mais des discussions et échanges auront lieu avec les intéressés (dont les sociétés savantes) tout au long de la mise en place du processus et à l’issue de cette première cohorte. De ce point de vue, les ESPE doivent être avant tout envisagés comme des « corps vivants ».
Tout au long de l’entretien, nous avons attiré l’attention de nos interlocuteurs sur la distance considérable entre la réalité des problèmes tels qu’ils se posent concrètement dans les universités, les lycées et les collèges et les solutions mises en œuvre. Ainsi nous avons soulevé la question du bien-fondé des épreuves d’admission qui portent largement sur des questions pédagogiques et didactiques alors que selon toutes nos informations les candidats n’auront bénéficié en M1 que de deux ou trois semaines de stage. Nos interlocuteurs ont répondu avec fermeté que les stages en 1re année devaient impérativement avoir une durée de quatre à six semaines.
Sur la question des disparités selon les sites quant à l’offre en didactique qui induirait des inégalités de chance, le Ministère reconnaît le problème et nous a dit mener une réflexion à cet égard. M. Filâtre a toutefois formulé la nécessité pour les établissements de recruter davantage de formateurs en sciences cognitives et en didactique.
Nous avons également soulevé la question brûlante des « reçus-collés » et de leur devenir qui semble inévitablement impliquer un découplage des masters MÉEF et des masters de recherche avec tous les problèmes de seuils d’effectifs que cela suppose et in fine des regroupements et des suppressions de formations dans les universités. En réponse, M. Filâtre a indiqué que les maquettes devaient être évolutives et que le ministère n’examinait pas les dossiers d’habilitation mais la pertinence de l’offre. Pour l’heure les propositions « remontées » en la matière sont souvent insatisfaisantes (soit illisibles, soit irrecevables, comme la création de DU dédiés). Des éléments/axes de réflexion seront, sur ce point, prochainement diffusés par le Ministère.
Sur les problèmes concernant la difficulté de faire perdurer les mutualisations entre préparations CAPES/Agrégation et entre Master Enseignement/Master Recherche, ainsi que du devenir de la recherche à l’heure où les universités manquent de moyens, M. Filâtre a renvoyé la balle dans leur camp en les enjoignant de se doter d’« équipes pluridisciplinaires ». Enfin, la question d’une éventuelle mise en place d’une Licence MEEF en amont des Masters a été évacuée très rapidement par la négative, sans pour autant nous rassurer.
Nous avons, pour conclure, accueilli favorablement la proposition de M. Filâtre de poursuivre l’échange avec nos associations dans le cadre de commissions nationales qui seront consultées lors des différentes étapes. Nous l’avons assuré que nous ne manquerons d’y faire valoir nos points de vue et ceux des enseignants et étudiants en toute indépendance.
Paris, le 15 juin 2013 Lauro Capdevila
Ilda Mendes dos Santos