La SoFHIA relaie une pétition à propos de l'intégration de l’espagnol à l’épreuve de traduction et d'explication d’un texte en langue étrangère de l’agrégation externe de philosophie. Le texte est le suivant :
"Mesdames, Messieurs les membres du jury de l’agrégation de philosophie,
Nous souhaitons attirer votre attention sur une situation que regrettent de nombreuses personnes qui se sont engagées sur la voie de la philosophie : l’absence de l’espagnol au concours de l’agrégation externe de philosophie. Si l’espagnol est parlé dans 21 pays, la plupart situés en Amérique latine, cette langue se trouve également être celle d’un pays avec lequel nous partageons une frontière et dont l’histoire politique et intellectuelle est étroitement liée à celle de la France et de l’Europe. Du fait de cette extension géographique et humaine considérable, l’espagnol compte un nombre de locuteurs natifs supérieur à l’anglais.
Enseignée largement dans le secondaire et le supérieur jusqu’au Master, cette langue ne figure cependant toujours pas parmi celles proposées aux épreuves orales de traduction et d’explication de texte de l’agrégation de philosophie. À cette épreuve sont proposés aux candidates et candidats des textes en grec, latin, allemand, anglais, arabe et italien – ce dernier ayant acquis ses droits de cité il y a un peu plus de 20 ans, en 2004.
Quelles sont les raisons pour lesquelles l’espagnol n’a jusqu’alors pas encore été intégré au programme ? L'idée selon laquelle il ne s’agirait pas d’une « langue philosophique » ou que les auteurs hispanophones, latino-américains et espagnols, seraient certes de « bons écrivains » mais non de « bons penseurs », a été largement récusé par l’histoire des idées. Pourtant, les programmes de l’agrégation contribuent à le faire perdurer.
La richesse des traditions philosophiques ibéro-américaines n’est plus à démontrer. L'œuvre poétique et philosophique de l'écrivaine mexicaine Sor Juana Inés de La Cruz, datant du XVIIe siècle, est encore aujourd'hui abondement étudiée dans les universités latino-américaines. L’Espagne des XVIe et XVIIe siècles n’a pas seulement été celle de Miguel de Cervantes et de Diego Velázquez, mais aussi celle de l’École de Salamanque. Parmi ses représentants figurent Luis de Molina, Francisco de Vitoria et Francisco Suárez dont on sait l'influence sur les travaux de Leibniz, Schopenhauer ou Heidegger. Si leurs œuvres sont en latin, celles de Bartolomé de Las Casas également issu de Salamanque sont en espagnol et pourraient être mises au programme, ce qui permettrait d'aborder les débats philosophiques actuels portant sur les questions post et décoloniales.
Plus proches de nous, Miguel de Unamuno et José Ortega y Gasset sont deux philosophes incontournables du XXe siècle. Dans le sillage du second, la génération de l’École de Madrid, dont faisaient partie María Zambrano, José Gaos et Xavier Zubiri, fut déterminante dans l’histoire de la phénoménologie. La guerre civile et le fascisme les ont menés sur les routes de l’exil, emportant avec eux des pans de l’histoire intellectuelle européenne dans d’autres régions que l’Europe, notamment en Amérique latine. María Zambrano, José Gaos ou encore Adolfo Sánchez Vázquez se sont dirigés vers le Mexique, tandis que de nombreux philosophes latino-américains, comme l’argentin Arturo Andrés Roig, le chilien José Echeverría ou le mexicain Emilio Uranga, faisaient une partie de leurs études en France. L’importance des différentes traditions phénoménologiques et marxistes présentes dans le sous-continent témoigne aujourd’hui de cette riche histoire transcontinentale. Au contact des traditions philosophiques latino-américaines, ces circulations ont donné lieu à des interprétations originales du canon philosophique européen, dont certaines nous reviennent aujourd’hui. La récente traduction de la Philosophie de la libération de l’Argentin Enrique Dussel (PUF, 2023) en est un exemple. D’autres philosophes, tels que la féministe argentine Maria Lugones, le mexicain Mauricio Beuchot et son herméneutique analogique ou le cubain Raúl Fornet-Betancourt et sa philosophie interculturelle, jouissent d’une reconnaissance internationale, mais restent pourtant méconnus dans nos universités françaises.
Il faut enfin considérer que l’absence de cette langue à l’agrégation externe produit, en aval et en amont, un délaissement de l’espagnol. Les étudiants et étudiantes de Master font ainsi souvent le choix de langues jugées plus « stratégiques » dans la perspective des concours, et se restreignent dans le choix de leurs sujets de mémoire. Une fois les concours passés, les thèses s’intéressant aux philosophies hispanophones peinent, quant à elles, à trouver des encadrements adaptés.
L’absence de l’espagnol aux épreuves de l’agrégation pose donc la question de la reconnaissance – ou non-reconnaissance – de celle-ci en tant que langue philosophique du canon académique. L’abondance de la littérature philosophique accessible dans cette langue, la richesse des traditions ibéro-américaines, classiques et contemporaines, enfin sa portée mondiale, constituent les principales raisons pour lesquelles nous vous prions de bien vouloir considérer l’intégration de la langue espagnole aux épreuves de l’agrégation externe de philosophie dès le concours 2027.
Veuillez agréer, Mesdames, Messieurs, l'expression de nos sentiments respectueux"
Pour signer la pétition : ICI


