Hommage à Jacques Fressard par Denise Boyer
Jacques Fressard (1934 – 2023)
Le 6 décembre dernier s’éteignait notre collègue Jacques Fressard à l’âge de 89 ans. Reçu à l’agrégation d’espagnol en 1960, la même année que ses amis Jean Canavaggio et Bernard Gille qui viennent eux aussi de nous quitter, il ne s’était jamais cantonné jusqu’alors aux programmes imposés du cursus universitaire, pas plus qu’il ne se s’en tint ensuite à son domaine de recherches, l’œuvre de Valle Inclán. Tout au contraire, sa grande curiosité intellectuelle lui faisait découvrir dès leur apparition, bien avant que l’Université ne s’y intéresse, les écrivains parmi les plus novateurs, tels que Luis Martín Santos et Juan Benet en Espagne, ou Borges et Cortázar en Amérique latine. Il n’avait pas non plus abandonné le portugais : témoin le Poète d’aujourd’hui qu’il consacre à Camoens en 1964, et sa traduction en 1967 de L'invité de Job, du romancier portugais José Cardoso Pires dont il était devenu l’ami.
Ayant vite rejoint l’Institut Hispanique de la Sorbonne, qui quelques années plus tard allait devenir Paris IV-Sorbonne, Jacques y a été successivement assistant, maître-assistant et maître de conférences jusqu’à son départ à la retraite en 1994. Il a été l'un des premiers de l’UFR à s'intéresser aux approches du phénomène littéraire dérivées du structuralisme ; c'est ce qui nous a amenés en 1972 à créer avec nos collègues Jean-Pierre Ressot et Bernard Gille un enseignement de littérature inspiré de ce type de travaux, l'UE 102 dont beaucoup d'anciens étudiants disent comme elle leur a été profitable. Jacques y assurait un groupe de TD et, selon les années, le cours magistral concernant le roman ou la poésie. De cette collaboration dans l'amitié, l’estime et la bonne humeur, enrichissante à tous égards, sont sorties deux publications collectives : notre manuel Poésie et poétique, objet de plusieurs rééditions, et nos "Notes sur Tiempo de silencio", dont le remaniement en 2001, lorsque le roman figurait au programme de l’agrégation, a été l’occasion de reconstituer temporairement notre groupe de travail vingt-cinq années plus tard, non sans une émotion silencieuse mais manifeste chez nous quatre.
Parallèlement à ses activités d'enseignement et à ses recherches personnelles, Jacques collaborait régulièrement, dès sa fondation en 1966, à la Quinzaine littéraire dirigée par Maurice Nadeau, et ses chroniques ont largement contribué à faire connaître la littérature contemporaine, tant de l’Espagne que du Portugal et de l’Amérique latine. Il a été ensuite, en 2016, l’un des fondateurs de la revue en ligne En attendant Nadeau créée après la mort de l’éditeur dans le but de maintenir l’esprit de la Quinzaine, car il était d’une saine intransigeance –laquelle n’excluait pas, malgré les épreuves qui ne lui ont pas manqué, une bienveillance peu commune.
Denise Boyer