Hommage à Michel Launay
Texte de Marisol Sicot-Domínguez et Justino Gracia Barrón
Michel Launay a disparu en novembre 2023. Nous voudrions aujourd’hui lui rendre modestement hommage. Un hommage qui sera partiel et forcément partial : partiel, parce que nous ne pourrons évoquer que le Michel Launay que nous avons connu, celui qui a enseigné la linguistique hispanique à la Sorbonne Nouvelle dans les années quatre-vingt ; partial, parce que nous aurions du mal à dissocier l’estime éprouvée pour l’homme du respect inspiré par le linguiste.
Nous avons rencontré Michel Launay lors de notre année de licence, en 1982, puis nous avons suivi les séminaires qu’il animait avec Jean-Claude Chevalier et Maurice Molho à l’Institut Hispanique, rue Gay-Lussac. Lors de ces séminaires, nous constations que Michel Launay éprouvait un intérêt particulier pour l’étude et l’analyse de phénomènes tels que le calembour, le lapsus, le slogan, les « fautes »… bref, tous ces faits que la linguistique écartait alors comme étant « insignifiants », à la marge du système. Or, à travers ces analyses, ce que Michel Launay cherchait à dégager c’était une cohérence de système, une cohérence qui passait non pas par les signifiés, mais par les relations d’association et d’opposition que les signifiants entretiennent entre eux. Ce faisant, il inversait la hiérarchie signifiant/signifié et revendiquait la primauté du signifiant dans tout système linguistique. Son article « Effet de sens, produit de quoi ? » est le fruit de ces réflexions.
L’influence de Michel Launay sur notre devenir en tant que linguistes a été à la fois discrète et décisive : lorsque nous nous sommes confrontés à cette façon nouvelle de concevoir la linguistique, nous avions déjà quelques notions de celle qui se pratiquait à l’époque (la linguistique saussurienne, la grammaire générative, …) et pour nous, l’arbitraire du signe était une vérité indiscutable. C’est pourquoi, lorsque nous avons eu entre les mains son article intitulé « Notes sur le dogme de l’arbitraire du signe linguistique et ses possibles motivations idéologiques », texte produit entre 1984 et 1985 et opposé à ce qui, pour nous, était absolument indiscutable, nous l’avons reçu avec beaucoup de réticences, voire du rejet. Nous saluons aujourd’hui la persévérance, l’honnêteté intellectuelle et la force de conviction de Michel Launay qui, après des discussions souvent animées, a réussi à nous convaincre, d’abord d’envisager l’hypothèse de la motivation du signe linguistique, puis de la faire nôtre.
Il n’était pas le seul à nous montrer le chemin. Depuis l’année de Licence, nous avions suivi également les cours de linguistique impartis à Paris III et Paris IV par Marie-France Delport, Maurice Molho et Jean-Claude Chevalier, les deux derniers constituant avec Michel Launay le groupe Mo.La.Che, dont le propos était de revendiquer l’unicité du signe et la suprématie du signifiant, telles qu’elles se manifestent dans l’article intitulé « La raison du signifiant », présenté en 1983 et publié en 1984. Nous y retrouvions - et nous y retrouvons encore - non seulement la remotivation du signe, mais aussi des notions proposées, et certainement discutées, pendant les cours de Michel Launay, telles que l’utilisation ludique des homonymes et des paronymes, et l’importance des étymologies « populaires » dans l’évolution de la langue.
Une fois actée la séparation définitive entre Paris III et Paris IV, Michel Launay, avec Alvaro Rocchetti, professeur de linguistique à l’UFR d’italien, a créé le LAM (Laboratoire d’Analyse Métalinguistique), dont les séances avaient lieu une fois par mois, un samedi. Quelques années plus tard, Michel Launay a quitté Paris pour retourner dans sa Bretagne natale, d’abord à l’Université de Rennes, où il avait fait sa licence, ensuite, ayant abandonné l’enseignement, il s’est installé dans son village du Morbihan. Nous n’avons guère eu l’occasion de le revoir depuis. Certains d’entre vous l’ont peut-être connu lorsqu’il donnait les cours de linguistique diachronique dans l’amphi de Censier ou l’ont eu comme collègue, d’autres ont pu lire, ou entendre parler de ses recherches. En tant qu’anciens élèves, il nous a paru important de partager avec vous nos souvenirs d’un homme d’une grande valeur éthique et intellectuelle.