Motion contre la réforme du doctorat
adoptée lors de l'Assemblée générale de la SHF du 13 juin 2015 à Bordeaux
La Société des Hispanistes Français s'alarme de l'actuel projet de réforme du diplôme national de doctorat et de ses conséquences sur l'indépendance de la recherche.
Elle rappelle son attachement au travail de thèse comme aboutissement d'une recherche approfondie, menée dans une relation privilégiée entre les doctorant-e-s et leurs directeurs et directrices de thèse.
A ce titre, elle considère que la validation des acquis et des compétences ou bien l'apprentissage (art. 1) ne sauraient équivaloir à la réalisation d'une thèse en Lettres et Sciences Humaines.
De même, les mesures (art. 3, 4, 12, 13) envisagées pour contrôler à la fois les doctorante- s et les directeurs et directrices ne correspondent pas à la maturité des personnes concernées ni au niveau intellectuel où se situe le doctorat. Elles instaurent, entre autres, un climat de défiance vis-à-vis des directeurs et directrices de thèse qui devraient, selon cette réforme, être formé-e-s et évalué-e-s. N'est-ce pas là la fonction de l'Habilitation à Diriger des Recherches et de la Qualification ? N'y a-t-il pas, par ailleurs, des évaluations régulières, que ce soit au niveau individuel par le CNU ou collectif par l'AERES ? L'idée qu'il y aurait une « pédagogie » de l'encadrement doctoral est un nonsens évident pour toute personne ayant réalisé une thèse en LSH.
De plus, l'exclusion du directeur ou de la directrice du jury, en tant que membre à part entière, auquel il serait refusé de prendre part aux délibérations (art. 18), jette le discrédit sur ses capacités et celles des autres membres du jury à débattre en dehors de toute subjectivité.
La mise en place d'un comité de suivi, tel que défini dans l'article 13, outre qu'elle participe de ce climat de défiance inacceptable, va alourdir considérablement la tâche des directeurs et directrices de recherche qui passeront plus de temps à évaluer l'état d'avancement des travaux d'autres doctorant-e-s que celui des leurs...
D'autres mesures, dont certaines sont assez floues pour donner lieu à des décisions arbitraires, prévoient l'ajout de strates bureaucratiques supplémentaires et de niveaux décisionnels (collège doctoral, regroupement d'écoles doctorales inter-établissements..., art. 1et 2) qui contribueront à cet alourdissement tout en renforçant une organisation de plus en plus pyramidale accordant les pleins pouvoirs au chef d'établissement, à quelque stade que ce soit (inscription, financement, désignation des directions d'ED, de personnalités extérieures..., art. 6, 8, 9, 11), et ouvrant la voie à tous les abus possibles.
Par ailleurs, la limitation uniforme de la durée de la thèse à trois ans (art. 14) ne tient compte ni des différences entre les disciplines, ni des différences humaines entre les doctorant-e-s auxquels on impose parallèlement à la réalisation de la thèse, de faire des communications, publier, organiser des JE, enseigner, etc. pour constituer leur CV. Or, en LSH, il est rare qu'une bonne thèse soit soutenue en trois ans. Dans le même ordre d'idée, l'introduction de « modules de formation à caractère professionnalisant » (art. 15) est parfaitement inadapté : les doctorants doivent se concentrer sur leur thèse et non se disperser.
L'application de cette réforme, non pensée depuis la réalité des LSH, aurait pour résultat d'accroître inutilement le travail de tous les chercheurs, encadrant-e-s et encadré-e-s, de limiter l'indépendance de la recherche et la diversité de pensée, comme le laisse augurer l'ouverture aux « acteurs économiques ». Réduire la durée de la thèse et l'autonomie des directeurs et directrices de recherche, c'est fermer la porte aux recherches innovantes, surprenantes, hétérodoxes qui ont produit des travaux internationalement reconnus dans le domaine des LSH. C'est pourquoi la SHF demande l'abandon de ce projet de réforme qui nuit aux libertés fondamentales de la recherche universitaire.