Apparu au XIXème siècle, le concept de mise en scène a mis longtemps à s’imposer ainsi que l’observe Jacques Aumont dans son œuvre La mise en scène : de la correspondance des arts à la recherche d’une spécificité. Dans une acception étroite, le terme de « mise en scène », qui s’applique naturellement au théâtre, désigne l’activité qui consiste dans l’agencement des différents éléments d’interprétation scénique d’une œuvre dramatique, et dans un sens plus large, l’ensemble des moyens d’interprétation scénique : décoration, éclairage, musique, jeu des acteurs… Pour Constantin Stanislavski, élaborer une mise en scène consiste à rendre matériellement le sens profond du texte dramatique. Le metteur en scène, qui peut compter sur différents moyens scéniques – dispositif scénique, éclairages, costumes – et ludiques – jeu du comédien, corporalité, gestualité –, ne peut être perçu comme un simple exécutant : il doit interpréter le texte en utilisant les possibilités scéniques mises à sa disposition. Le premier metteur en scène français, André Antoine, définit la mise en scène comme étant « l’art de dresser sur les planches l’action et les personnages imaginés par l’auteur dramatique ».
Par extension, la mise en scène s’étend à tout type d’événement ou de spectacle qui, par une préparation plus ou moins minutieuse en amont, ne peut être qualifié de spontané. La mise en scène est d’une part une représentation i.e. la présentification ou l’action de rendre visible aux yeux de tous ; et d’autre part, une (re-)création i.e. une élaboration voire un enfantement artistique. Elle requiert une spatialité et une temporalité « pour se manifester » selon Tadeusz Kowzan. On peut, en effet, penser non seulement à la mise en scène dans le domaine théâtral, mais également dans les domaines cinématographique, sportif, culturel, politique, religieux, socioprofessionnel, judiciaire, etc.
Au cinéma, cousin et rival du théâtre d’après Jacques Aumont, il existe un balancement entre le respect du scénario et l’inventivité du metteur en scène. L’art naît de la contrainte et/ou de la liberté, c’est entre ces concepts que le metteur en scène cinématographique doit jouer et créer son œuvre, fût-elle fidèle au script ou singulière et indépendante. Les documentaires cinématographiques se doivent de représenter une forme de réalité... et c’est d’ailleurs dans ce contexte que l’on peut s’interroger sur une éventuelle ségrégation de l’espace de l’art et de l’espace de la vie au cinéma.
Dans le monde du sport, la mise en scène semble plus authentique en ce sens que le spectateur peut s’imaginer qu’il y a de la spontanéité dans les pratiques de l’athlète. Pour autant, une partie reste rituelle, systématique et ne laisse pas de place à la sincérité. Prenons l’exemple d’une pratique culturelle et sportive, la corrida. Les toreros, ces hommes vêtus de l’habit de lumière, se mettent en scène dès l’entrée en piste : ils marchent lentement vers le centre de l’arène, saluent rituellement la Présidence, se retirent pour exécuter quelques passes imaginaires avant l’entrée du taureau, etc. La mise à mort de l’animal est également une mise en scène, la dimension sacrificielle étant, selon François Zumbiehl, inhérente au fondement de la tauromachie. Cela semble ne laisser que très peu l’opportunité à l’artiste d’exprimer sa créativité. Dans les domaines sportifs et culturels, y a-t-il alors un espace de liberté dans ces pratiques ritualisées ? Comment l’artiste parvient-il à se dégager du joug de la tradition ritualisée et dans quelle condition le public reçoit-il cette hétérogénéité ?
La mise en scène de la communication politique apparaît aussi comme naturelle. Et pourtant, rien n’est laissé au hasard... Depuis les grands régimes dictatoriaux (Hitler, Mussolini, Franco, Staline) jusqu’aux démocraties actuelles, la scénographie est une composante nécessaire à la prise de pouvoir et au prestige de l’homme politique. Le discours, la gestuelle, l’élocution, tout est travaillé dans le but de convaincre et de persuader les interlocuteurs. Ce travail de présentation du politique n’a cessé de s’accroître depuis l’essor de la télévision bien que la rhétorique ait toujours été une réelle mise en scène (Marc Dominicy et Madeleine Frédéric). Cette mise en scène peut-elle être originale, drôle, et différente alors que les thématiques abordées sont sérieuses et importantes ?
On relève également des ressemblances troublantes à la fois visuelles et structurelles entre un procès et une pièce de théâtre. Le regard du public est tourné vers la scène où se déroule le « drame ». Les rôles sont bien répartis : le parquet pour les réquisitions, les avocats pour les plaidoiries, le président du tribunal pour l’orchestration de l’ensemble avec le délibéré final sonnant comme un dénouement, qui suit un moment de tension très vif. Les « acteurs », qui revêtent des « costumes », interviennent selon un déroulement prévu d’avance. Les assises illustrent bien cette mise en scène, notamment lorsque l’accusé escorté par des policiers entre sur scène ou lorsque les échanges entre l’accusation et la défense se font particulièrement intenses. La seule différence avec le théâtre réside sans doute dans le fait que le scénario ne soit pas écrit d’avance…
Du point de vue des spectateurs, la mise en scène recourt à la perception sensorielle et ce, dans l’optique d’assurer « l’interpénétration constante du conceptuel et du sensible » (Tadeusz Kowzan). La représentation au sens le plus large qui soit nécessite des moyens d’expression divers – posture, déclamation, gestuelle, entres autres – qui pénètrent le regard du public. Ce dernier est d’une importance capitale puisque sans spectateurs, il n’y a pas de spectacle. Le spectateur participe à la représentation puisqu’elle combine chez lui toute une série de processus psychiques qui lui permettent notamment de réaliser ses désirs insatisfaits et de les purger. C’est ce qu’Aristote nomme la catharsis, moyen d’épuration des passions rendu possible grâce à la représentation artistique. La mise en scène dans son acception large est une sorte d’expédition pour le spectateur : elle peut privilégier la réflexion (Beltolt Brecht), la sensibilité, l’esthétique du corps (Pina Bausch), etc. Des codes socioculturels régissent aussi la présence des spectateurs qui se doivent d’applaudir au bon moment, de rire ou de verser une larme lorsque l’action s’y prête, de crier pour encourager les agissements de celui qui se met en scène, ou de rester silencieux en fonction des circonstances. Cela pose la question de l’(in)existence du spectateur modèle qui « s’efforce[rait] de découvrir ce que le spectacle lui demande de devenir » (Philippe Meunier et Jacques Soubeyroux)...
Puisque tout est mise en scène, même la vie quotidienne (Erving Goffman), nous vous invitons à proposer vos communications en français (titre, résumé de 250 mots maximum, CV avec photographie et 5 mots-clés) avant le 15 novembre 2015, délai de rigueur, à l’adresse suivante :
À l’issue de la journée d’étude, les intervenants seront invités à transmettre une version rédigée de leur communication. Cette dernière fera l’objet d’une expertise en vue d’une publication des actes.
Frais d’inscription : 65 € (participation aux frais de repas et de publication).
Bibliographie sélective
Antoine A., Mes souvenirs sur le Théâtre-libre, Paris, Grasset, 1928.
Aumont J., La mise en scène : de la correspondance des arts à la recherche d’une spécificité, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2000.
Aumont J., Le cinéma et la mise en scène, Paris, Armand Colin, 2015.
Dominicy M. et Frédéric M., La mise en scène des valeurs. La rhétorique de l’éloge et du blâme, Lausanne-Paris, Delachaux-Niestlé, 2001.
Goffman E., La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Éditions de Minuit, 1973.
Kowsan T., « Le texte et le spectacle. Rapports entre la mise en scène et la parole », in Cahiers de l'Association internationale des études françaises, 1969, n°21, pp. 63-72.
Meunier P. et Soubeyroux J., Le voyage dans le monde ibérique et ibéro-américain, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1999.
Stanislavski C., Cahiers de régie sur la Cerisaie et les Trois sœurs d’Anton Tchekhov, Paris, Vulcain, 2012.
Comité scientifique
- Nicolas Berjoan, Historien, Maître de Conférences à l’Université de Perpignan.
- Marie-Noëlle Costa, Hispaniste, Maître de Conférences à l’Université de Perpignan.
- Sylvie Cagliani, Hispaniste, Maître de Conférences à l’Université de Perpignan.
- Sylvie Guibbert, Hispaniste, Maître de Conférences à l’Université de Perpignan.
- Justine Guitard, Hispaniste, Doctorante Contractuelle à l’Université de Perpignan.
- Marjorie Janer, Hispaniste, Maître de Conférences à l’Université de Perpignan.
- Anne Lacroix, Hispaniste, Maître de conférences à l’Université de Perpignan.
- Christian Lagarde, Hispaniste, Professeur à l’Université de Perpignan.
- Victorien Lavou, Hispaniste, Professeur à l’Université de Perpignan.
- Fabrice Parisot, Hispaniste, Professeur à l’Université de Perpignan.
- Claire Picod, Hispaniste, PRCE à l’Université de Perpignan.
- Ángel Quintana Morraja, Historien du cinéma, Professeur à l’Université de Gérone.
- Ghislaine Jay-Robert, Helléniste, Maître de Conférences HDR à l’Université de Perpignan.
Organisation
Justine Guitard et Claire Picod.
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