XLe Congrès de la Société des Hispanistes Français "La nuit"

XLe Congrès de la Société des Hispanistes Français
Université d’Artois-Arras
8 juin-10 juin 2022
 
LA NUIT DANS LE MONDE IBÉRIQUE ET IBÉRO-AMÉRICAIN
 
Souvent définie comme un espace de temps qui s’écoule, en un lieu donné de la terre, depuis la disparition du soleil jusqu’à son lever, la nuit possède une dimension universelle puisqu’elle touche tous les êtres humains et recouvre des significations variables.
En l’absence de clarté de la lune, elle est associée de manière métaphorique à l’incompréhension, au manque d’intelligibilité et à l’aveuglement ou, pire encore, aux ténèbres où règne la présence maléfique du démon. Jean Delumeau nous rappelle en effet que la peur de la nuit, et de toutes ses figurations symboliques, remonte aux temps de l’écriture biblique où le destin de chacun est lu à l’aune de la dualité entre lumière et obscurité[1]. Dans une perspective chrétienne, le dépassement des épreuves, associées à l’obscurité, peut hisser l’humanité vers la lumière rédemptrice et la promesse du Salut éternel. Le Bien triomphe alors dans l’éclat du jour, de ce que l’on voit et conçoit nettement. Il entre dans les cadres doctrinaux et sociaux définissant les normes d’une conduite individuelle et collective qui favorisent la cohésion du plus grand nombre, l’harmonie dans les relations humaines au sein d’un État ordonné et sécurisant. Le Mal, en revanche, trouve refuge dans les confins obscurs de ce qui est caché, de ce qui se dérobe à la vue de tous. Dans le tâtonnement qu’impose la nuit noire, chacun se laisse orienter par sa conscience, régulée alors par l’éthique personnelle. C’est le temps chaotique du dérèglement comportemental où le crime et la bestialité peuvent prendre le pas sur la canalisation morale induite par le jour.
Selon l’adage, « Dans la nuit, tous les chats sont gris », la transgression sociale s’accompagne parfois d’un franchissement des limites de la morale et du communément et normalement acceptable. Ce moment devient l’expression emblématique de la marginalité, de la transgression sous toutes ses formes. La dangerosité qu’il installe s’explique alors par le désordre qu’implique l’absence de règles, de contrôle civil et religieux. L’esprit se libère pour le meilleur et pour le pire, il s’affranchit du joug de la censure en repoussant les frontières diurnes de l’expression. La monstruosité qui peut alors surgir échappe aux brides de la raison pour accueillir toutes les projections imaginaires dont l’art et la littérature nous donnent à voir d’éloquents exemples. Les divagations d’un Goya, englouti dans la nuit du silence, ne sont-elles pas l’expression éclatante de notre condition humaine ? La nuit révèle-t-elle l’humain à lui-même ? Permet-elle d’éclairer l’envers de ce qu’il montre au quotidien ? Si les avancées de la psychanalyse aident à en comprendre les signes, certaines manifestations surnaturelles surgissant dans la nuit échappent à toute tentative explicative. Les revenants, les êtres fantomatiques s’inscrivent dans une galerie spectrale terrifiante associée à la nuit et à la crise qu’elle symbolise[2]. Toutes ces formes d’une humanité hybride hantent l’obscurité jusque dans les profondeurs de l’intime, pour se rendre visibles à certains au détriment – ou au bonheur – des autres. La question soulève inévitablement celle du rapport que chacun entretient avec le monde rationnel. Selon ce que l’on connaît et surtout ce que l’on croit[3], notre vision ouvre des champs du possible plus ou moins larges en peuplant le paysage diurne de foules bizarres. La sorcellerie et l’empire satanique auxquels la nuit est souvent associée y trouvent un espace privilégié, où la clandestinité ne pose souvent pas problème.
Par ailleurs, dans le rythme inhérent aux exigences du labeur, la nuit impose un temps bénéfique. Le repos nocturne nécessaire pour reprendre le souffle diurne installe une dialectique aux multiples résonnances, celle de l’activité et de la passivité qui amène celle du mouvement et de l’immobilité, du bruit et du silence, de la communication et de la solitude, de la chaleur et du froid, de la joie et de la tristesse : autant de jeux d’opposition qui, au fond, s’articulent autour de l’opposition vie/mort symbolisée par la présence et l’absence de lumière. C’est cette association entre privation de lumière et mort que diffuse notamment à la suite des auteurs antiques, l’Iconologia de Cesar Ripa qui décrit la nuit comme « une femme vêtue d’un manteau bleu constellé, avec deux grandes ailes déployées dans le dos ; sa carnation est sombre, son front orné d’une couronne de pavots ; dans les bras, elle porte deux enfants endormis, à droite un enfant blanc (le Sommeil), à gauche un enfant noir (la Mort)… ».
Cependant, la réalité de l’expérience humaine autorise une lecture tout autre de la nuit. Inversement à cette lecture plutôt négative, on peut dire en effet que la nuit, c’est le temps du sommeil qui parfois « porte conseil » et du silence profitable, une période pendant laquelle l’intime se révèle à la dérobée du plus grand nombre. C’est aussi le temps du secret, de ce que l’on veut préserver du regard et de la connaissance publiques. La tranquillité qu’autorise la nuit, loin des feux et des fracas du monde, apaise et réenchante les âmes. Saint Jean de la Croix n’y expérimente-t-il pas l’union avec Dieu ? Car, comme le rappelle Alain, la nuit peut être synonyme de clarté et d’une plus grande attention à notre intériorité[4]. C’est l’occasion d’y voir loin, de découvrir les astres que la « claire coupole du jour » masque en empêchant de percer le mystère de notre existence.
Dans la pause qu’occasionne la nuit, l’individu peut s’adonner à des rituels de célébrations profanes et/ou sacrées dont les retombées heureuses intensifient la lumière du jour. Si l’effort et la contrainte accompagnent plus souvent le jour, la nuit peut laisser place aux plaisirs dans toute l’amplitude de ses formes, fussent-ils interdits ou autorisés. Selon les espaces et les périodes, les femmes investissent la nuit dans une liberté que le jour leur refuse.
La culture de la fête se déploie avec plus ou moins de fantaisie et d’excès dans cette permissivité induite par la nuit si l’on en croit le mouvement culturel de la Movida, sorte de longue nuit contre-pointant les lueurs de la transition démocratique. Noctambules et somnambules se croisent, se joignent ou se défient pour tout à la fois donner forme et sens à leurs intuitions fulgurantes.
Toutes ces réflexions liées à la temporalité nocturne ne doivent pas écarter les questions liées à la notion d’espace que convoque la nuit. Une cartographie pourrait même être pensée au regard des pratiques et des usages qui seraient étudiés dans le cadre du congrès. Si le désert et la grotte tissent des correspondances métaphoriques avec la nuit par le silence et l’inactivité sociale qu’ils impliquent, la ville et ses faubourgs, au contraire, provoquent inexorablement une multiplicité d’interactions humaines dans une agitation qui, si elle diminue la nuit ne connaît jamais de véritable répit.
Le congrès de la SHF sera ainsi l’occasion de mettre en lumière des appréhensions différentes et d’interroger l’évolution des représentations et des réalités liées à cet espace-temps au fil des époques et selon les aires culturelles. Plusieurs approches pourront être envisagées :
- Expériences de la nuit : on pourra, par exemple, s’interroger sur la nuit comme espace-temps où se manifestent, sous l’influence de l’obscurité, la tristesse et le désespoir, mais où se déploient aussi, à l’inverse, dans l’intimité et le secret, les formes multiples du plaisir. De même pourra-t-on s’intéresser aux peurs et aux angoisses que suscitent les dangers de la nuit ou à la fascination qu’exerce ce moment de liberté.
- Mots et images de la nuit : on pourra aussi étudier les termes et expressions autour de la nuit, les images qu’elle évoque, les symboles qui lui sont associés, ou encore ses différentes formes et fonctions textuelles.
- La nuit et les arts : on pourra s’intéresser aux représentations artistiques de la nuit, que ce soit en peinture, en musique ou au cinéma.
- Nuit, transgression, marginalité et contestation : une attention pourra être portée aux formes de la transgression et de la marginalité nocturnes et aux réponses symboliques et sociales qui ont été ou sont apportées à ces dernières. De même pourra-t-on s’interroger sur les dispositifs et la législation spécifiques mis en place pour un contrôle de la nuit et de l’insécurité qui l’accompagnait ou l’accompagne encore. La nuit pourra aussi être envisagée comme enjeu de mobilisation ou comme espace-temps de contestation et de lutte.
- Night studies : la nuit pourra être abordée, enfin, comme un nouveau champ thématique, apparu ces dernières années avec l’intérêt croissant pour un espace urbain où se développent de nouvelles pratiques ainsi que de nouvelles formes de sociabilité (nuits du musée, nuits blanches…).
 
Organisatrices : Marie-Hélène GARCIA, Caroline LYVET, Patricia ROCHWERT-ZUILI et Sarah VOINIER. Laboratoire Textes et Cultures-UR4028, TransLittéraires et Études Transculturelles.
Le congrès aura lieu les 8, 9, et 10 juin 2022 à l’Université d’Artois, sur le site d’Arras. Les propositions de communication (titres et résumés) sont à envoyer à l’adresse avant le 31 juillet 2021. Elles seront accompagnées d’une notice biobibliographique de 5, 6 lignes (nom, prénom, affiliation universitaire et/ou scientifique, thématiques de recherche et publications les plus significatives).
 
 
[1] DELUMEAU, Jean, La peur en occident, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2013, p. 112-113. Pour une étude de la perception de la nuit à la Renaissance, voir Daniel MÉNAGER, La Renaissance et la nuit, Genève, Droz, 2005. On pourra consulter également Penser la nuit (XVe-XVIIe siècle), Dominique BERTRAND (éd.), Actes du colloque international du C.E.R.H.A.C. (Centre d’Études sur les Réformes, l’Humanisme et l’Âge classique), Paris, Honoré Champion, 2003.
[2] CALLARD, Caroline, Le temps des fantômes, Paris, Fayard, 2019.
[3] Sur les systèmes de croyances, l’approche anthropologique ouvre des perspectives fécondes et propices à revisiter notre vision de la nuit : Jacques GALINIER et Aurore MONOD BECQUELIN, Las cosas de la noche, una mirada diferente, Mexico, Edition CEMCA, 2016.
[4] ALAIN, Les Idées et les âges, Paris, Gallimard, 1927, chap. I : « La nuit », p. 11-16.
 

 

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