In memoriam - Claude Gaillard
Hommage à Claude Gaillard (1931-2023)
Écrire sur Claude Gaillard n’a pas été facile. La nouvelle de son décès ayant été annoncée dans le précédent bulletin de la SHF, j’ai l’impression que tout est dit. Que la page est tournée. Mais ce n’est qu’une impression. Les renseignements glanés auprès de ses enfants, Colette, Pascale, Manuel et Alain, sont arrivés sur mon bureau ces derniers jours, me rappelant que Claude nous avait quittés. Qu’il était parti. Euphémismes commodes qui recouvrent des mots que l’on a du mal à prononcer ou à écrire en pareille circonstance, et auxquels je ne pourrai rajouter ici que d’autres mots.
Comme tout disparu Claude n’est pas parti. Ne nous a pas quittés. Il est même devenu particulièrement présent en ce moment à la mémoire fragile de son épouse, de ses enfants, de ses proches et de ses amis. La boucle de son existence s’ouvre et se ferme par des chiffres – c’est le lot commun des mortels... Deux dates : 28 07 1931-24 04 2023. D’autres chiffres, d’autres dates, sont venus jalonner son parcours, réduites ici à l’essentiel, et ponctuées de blancs ou de points d’interrogation (certaines n’ont pu être vérifiées).
Une trajectoire personnelle, marquée par son mariage avec Claudine Duprat (1953), un service militaire, comme sergent de réserve, dans l’aviation (1958-1960), et une carrière d’enseignant dont il a gravi les différents échelons : depuis un poste de lecteur à l’Université de Grenade (1956-1958) jusqu’à sa titularisation comme professeur des Universités, à l’Université Stendhal-Grenoble III (1981). Entre temps, il y a eu un passage par l’enseignement secondaire (le lycée Montaigne, à Bordeaux, en 1960-1961, le lycée du Parc, à Lyon, de 1961 à 1967), et un mandat de quatre ans au jury de l’agrégation d’espagnol (1965-1968). Un parcours méritant, qui lui a permis de financer ses études tout en travaillant, marqué par l’obtention du CAPES (1960) et de l’agrégation d’espagnol (1961), avant d’intégrer l’Université Stendhal (1967) où il sera titularisé comme Maître-assistant (1970), puis comme professeur (1981), et où il assurera diverses responsabilités dont celle de directeur du département d’Espagnol (?).
En tant que chercheur, il s’illustrera par une thèse de haut niveau Le Portugal sous Philippe III d'Espagne. L'action de Diego de Silva y Mendoza (soutenue à l’Université de Grenoble en 1980 ; publiée en 1982) qui lui a valu les éloges du jury et, tout récemment encore, les appréciations flatteuses de l’un des meilleurs spécialistes du Siècle d’Or espagnol, par ailleurs connu comme critique particulièrement exigeant :
[…] quiero felicitarle, aun tardíamente, por una investigación ejemplar en todos los sentidos que es su tesis doctoral. Supongo que los historiadores portugueses la tendrán muy en cuenta al hablar del, para ellos lamentable, período de anexión de su corona a la de Castilla. […] Sin embargo, […] como se sabe, la historia no se hace a base de libros sino de documentos de archivo, lo que es mucho más difícil, y en su caso, admirable. Todos sabemos lo que significaba la vieja thèse d’État, y deploramos que haya desaparecido, pues ha dado tantas obras maestras; creo que la de vd. es una de ellas. La cantidad de legajos que vd. ha manejado en media docena de archivos, el tino con que ha localizado los documentos más ceñidos a su asunto, y la pericia con que extrae su sentido, si me permite decirlo, son más propios de un historiador nato que de un filólogo. Su libro se lee como una buena novela en la que no falta ni sobra nada […]. [Extraits de la lettre d’Antonio Carreira, du 1er mars 2023]
Comme enseignant, Claude Gaillard a surtout contribué à la création et au développement de la filière des langues étrangères appliquées (LEA) à l’UFR de Langues de l’Université Stendhal. Enfin, en tant qu’hispaniste, il a activement participé à la promotion de l’hispanisme en France aux côtés du professeur Henry Bonneville, en œuvrant pour la Société des Hispanistes Français, dont il a assuré le Secrétariat Général.
Pendant toutes ces années, et jusqu’à son départ à la retraite, nous avons été proches, suffisamment pour nous heurter quelquefois, dans le feu des débats : Claude était un homme de conviction et d’un caractère bien trempé. De tout cela, il est sorti une grande et belle amitié, partagée par nos épouses respectives, qui ne s’est jamais démentie, et d’autant plus solide que nous avons veillé à demeurer en contact jusqu’au bout.
Nous avions prévu un dernier rendez-vous à Marmande, où il a fini ses jours, mais « les choses de la vie », compliquées notamment par le COVID et le confinement, en ont décidé autrement. Fort heureusement, j’avais eu le temps de lui dire, lors de l’une de nos toutes dernières rencontres, tout le bien que je pensais de lui, et combien, notamment, j’admirais sa droiture et ses qualités humaines. À un point que j’ai rarement observé chez mes semblables.
Le 18 mai 2023
Michel Moner,
Président d’Honneur de la Société des Hispanistes Français de l’Enseignement Supérieur