Qu'ils soient nos semblables, pas nos égaux. L'école bolivienne dans la politique libérale de «régénération nationale» (1898-1920), Lille : ANRT-Presses Universitaires du Septentrion, juin 2001, 562 p.
Résumé :
Les années 1898-1920 ont marqué, en Bolivie, un renouveau de la préoccupation de l'État en matière d'instruction. Un diagnostic extrêmement pessimiste de la situation du pays amène la nouvelle élite libérale au pouvoir à ériger l'école en l'instrument le plus fiable des transformations sociales dont elle rêve pour que le pays puisse intégrer le concert des « nations civilisées ». La « régénération nationale » entreprise s'appuie alors sur une politique éducative qui aspire à créer de la modernité et de l'unité nationale en étendant la présence et l'influence de l'institution scolaire sous le contrôle de l'État. « Civiliser » le peuple par l'école semble en effet, au début du XXe siècle, un pré-requis indispensable pour le rapprocher de normes et de formes de pensée considérées comme les seules voies vers le progrès. Les élites libérales sont imprégnées des courants évolutionnistes, darwinistes et positives, qu'elles tentent d'appliquer à leur perception de la société bolivienne. Le projet de « régénération » devient celui d'une « désindianisation » de la société.
Pour y parvenir, l'élite libérale engage alors tout à la fois un travail de restructuration du système éducatif, d'extension de sa couverture et de redéfinition de son contenu. Les tensions sont croissantes avec l'Église catholique qui contrôlait en grande partie les établissements du pays, mais dans le même temps le pays s'ouvre à l'accueil de congrégations religieuses susceptibles de servir le projet éducatif libéral. Création d'écoles publiques, nationalisation des programmes et des méthodes pédagogiques, premières initiatives étatiques en milieu rural, constitution d'un corps enseignant professionnalisé, système de contrôle et d'inspection, sont quelques-unes des mesures de ces premières années. Le but initial semble être de fournir au plus grand nombre un bagage scolaire et culturel minimal et national.
Mais ce projet homogénéisateur de la première décennie cède le pas, après 1910, à ce que nous avons désigné comme une politique éducative de la différenciation. Le système éducatif qui se développe et se consolide alors est clairement compartimenté, selon qu'il s'agit d'éduquer les secteurs urbains privilégiés, les secteurs métis et ouvriers des villes, les femmes, ou les populations rurales. De même la formation enseignante se divise en une formation d'enseignants urbains et une formation d'enseignants ruraux. Si le blanchiment du peuple reste sans nul doute un idéal, ce n'est toutefois pas pour que tous soient égaux. La régénération nationale est devenue une régénération ethnique spécifique. L'école doit travailler à éliminer certaines distances et à en maintenir d'autres.
Ce travail prétend ainsi dévoiler ce processus de va-et-vient que fut la politique éducative libérale, entre la recherche d'un rapprochement et celle d'un maintien à distance de l'Autre, celui qui était considéré malade, celui qui était considéré dégénéré, toujours si différent et pourtant si nécessaire.