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Colloque pluridisciplinaire Berceuses, histoire(s) et conscience
3 et 4 février 2022 – Université Grenoble Alpes
Organisation : Élise Petit, Anne Cayuela, Nathalie Henrich Bernardoni
 
Appel à communications
 
 
Si d’innombrables recueils de berceuses de tous pays existent, avec autant d’enregistrements, les ouvrages concernant l’analyse de corpus ou les usages de la berceuse sont, aujourd’hui encore, très rares [1]. Du côté de l’ethnomusicologie, les travaux de Constantin Brӑiloiu [2] sur la musique roumaine ont été suivis par nombre d’études sur des répertoires nationaux ou régionaux visant à identifier des caractéristiques musicales communes, mais sans s’attarder spécifiquement sur les berceuses.
 
L’objectif de ce colloque est de questionner un répertoire de « l’enfance des peuples » sur ce qu’il révèle de leur·s histoire·s, de leurs circulations mais aussi des traumatismes qu’ils ont vécus, dans une perspective transhistorique et transdisciplinaire. Que nous apprennent les berceuses sur l’histoire parfois partielle ou fragmentaire des circulations et des migrations ? Quelle est l’importance de ces répertoires dans la transmission orale de l’histoire des peuples ? Existe-t-il une fonction « cathartique » des berceuses traitant d’épisodes traumatiques ? Quels sont les effets des berceuses, de leurs paroles et de la voix de leur interprète sur le cerveau de l’enfant dans les processus d’apaisement visant l’endormissement ?
 
Au-delà de ces deux journées de rencontres, le projet vise à susciter un partage scientifique dans une dynamique pluridisciplinaire qui rassemble musicologues, artistes, historien·ne·s, ethnologues et ethnomusicologues, sociologues, linguistes, neuroscientifiques, psychologues et thérapeutes sur le plan national et international en vue de réflexions et publications ultérieures plus larges.
 
Les propositions de communication pourront s’inscrire dans l’un des axes suivants, sans s’y limiter :
 
  1. Circulations, transferts culturels
Tout comme le terme espagnol désignant la berceuse porte la trace du passé arabe – « Nana, nanita », formule initiale du chant, viendrait de « nám, nám, nám » qui signifie « dors, dors, dors » – le  répertoire des berceuses est riche d’enseignements sur les circulations de populations au fil des siècles : migration des populations nomades de l’Orient à l’Occident, domination arabe suivie de l’expulsion des morisques en 1609 dans la sphère hispanique, déracinement forcé de populations réduites en esclavage se retrouvent dans l’évolution esthétique des berceuses dans chaque sphère géographique. La recherche d’exotisme musical à la période romantique et les velléités d’universalisme du xxe siècle, les voyages d’artistes associés aux collectes infusent pour leur part le répertoire savant qui s’enrichit de l’apport d’esthétiques traditionnelles ou populaires [3]. Certains styles musicaux liés à la berceuse, comme la nana du flamenco, témoignent d’un syncrétisme musical qui nécessite d’être analysé plus en détail. Concernant la circulation de répertoires au sein de groupes politiques, religieux, sociaux ou ethniques, les processus d’apprentissage et de transmission méritent également une étude qui pourrait être comparative. Les propositions de communications sur des périodes antérieures aux xxe et xxie siècles seront particulièrement appréciées.
 
  1. La transmission d’une mémoire traumatique
Tout au long des siècles, nombre de berceuses constituèrent des moyens de transmission d’une mémoire traumatique liée à des conflits ou des persécutions de nature politique, raciale ou religieuse : la fameuse « berceuse cosaque » collectée au xixe siècle, les berceuses yiddish ou sefardis commémorant des pogroms ou l’exil des populations juives, les berceuses gitanes évoquant le sort des populations marginalisées, les berceuses composées dans les camps de concentration ou celles d’Atahualpa Yupanqui, emprisonné sous le régime de Juan Perón, en sont quelques exemples. Au-delà de l’aspect mémoriel et testimonial d’un tel répertoire, s’adressant à une communauté politique, religieuse ou culturelle, c’est aussi ce qu’il dit du destin des individus qui interpelle et intéresse. L’étude de ces répertoires interroge en outre sur l’aspect initiatique de chansons dont la violence du texte ou son caractère inattendu  contrastent de manière frappante avec l’esthétique musicale.
 
  1. Ce que les sciences nous apprennent sur les berceuses
Dans le domaine des neurosciences et sciences cognitives, nombre d’études ont été conduites sur l’influence de la musique – dont quelques berceuses – sur les jeunes enfants [4]. Les effets bénéfiques de la voix et des paroles sur l’endormissement restent à explorer. Les études sur le plan des effets stressants ou négatifs de répertoires de berceuses témoignant d’épisodes de violence sont quasi-inexistantes. De même, les travaux manquent sur les berceuses et leur impact cognitif. Il pourra également être pertinent de se tourner vers les recherches actuelles en matière de musicothérapie, notamment ce qui concerne le travail autour de corpus de berceuses auprès de populations ayant été contraintes à l’exil ou à l’émigration.
 
  1. Berceuse performative et berceuses littéraires
« Couchée sur le papier, prise dans l’ordonnancement de la page et passée au tamis de l’imprimerie, la berceuse écrite subit également l’effacement de sa dimension rituelle [5]. » La berceuse est avant tout performative, quelle que soit la diversité des formes culturelles qu’elle peut prendre. Son passage à l’écrit démontre parfois une extraction de la fonction apaisante, une esthétisation visant à faire œuvre littéraire ; ainsi les berceuses écrites par Aleksander Kulisiewicz à Sachsenhausen ne sont-elles pas toutes destinées à être chantées, mais plutôt lues tels des poèmes par un public adulte. Ce passage de l’oral à l’écrit et toutes les pertes qu’il induit pourra nourrir les réflexions.
 
  1. Constitution de corpus
Bien que nombre de recueils existent déjà, il semble important de rechercher de nouvelles sources dans diverses aires géographiques pour permettre un véritable dialogue entre les répertoires des berceuses ; divers projets ont été menés ces dernières années, notamment autour de la question de la place des berceuses dans les parcours d’exil [6]. Les propositions concernant des constitutions de corpus, organisés par aire géographique ou selon les axes évoqués précédemment, seront les bienvenues.
 
Les projets de communication en français ou en anglais (environ 500 mots), accompagnés d’une courte biographie, sont à soumettre avant le 5 janvier 2022 à l’adresse .
 
 
 
 
 [1] Mentionnons ici les travaux d’Annie Labussière en musicologie, mais également Anne Bustarret, L’oreille tendre : Pour une première éducation auditive, Paris, éd. ouvrières, 1982 ; Marina Altmann de Litvan (dir.), La berceuse : Jeux d’amour et de magie, Ramonville-Saint-Agne, Érès, 2001 ; Andy Arléo et Julie Delalande (dir.), Cultures enfantines. Universalité et diversité, Rennes, PUR, 2010 ; César Sánchez Ortiz et Aránzazu Sanz Tejeda(dir.), La voz de la memoria, nuevas aproximaciones al estudio de la literatura popular de tradición infantil, Cuenca, Ediciones de la Universidad de Castilla-La Mancha, 2019.
 [2] Constantin Brӑiloiu, Esquisse d’une méthode de folklore musical, Paris, Fischbacher, 1932.
 [3] César Sánchez Ortiz et Pedro C. Cerrillo (dir.), Presencia del cancionero popular infantil en la lírica hispánica, Cuenca, Ediciones de la Universidad de Castilla-La Mancha, 2013.
 [4] Outre les travaux de Maya Gratier (Université de Nanterre), Emmanuel Devouche (Université de Paris) et Sandra Trehub (University of Toronto), on trouvera nombre d’études dans les revues Advances in Infancy Research, Infancy, Infant Behaviour and Development et Journal of Caring Sciences.
 [5] Marie-Christine Vinson, « La berceuse, une oralité perdue ? », Pratiques [En ligne], n°183-184, 2019.
 [6] Josselyn Guillarmou, « Chanter les mémoires de l’enfance et de l’exil », Hommes & migrations [En ligne], n°1329, 2020.
Lieu Grenoble
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