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Appel à contributions - Revue K@iros - Le dessin comme témoin : guerres et dictatures en Espagne et en Amérique Latine Télécharger au format iCal
 
Antonio Fraguas, “Forges”, se rappelait dans une interview de 2016 que, du temps de la dictature, «la police cherchait les gens à l’odeur qu’il y avait dans la rue, du temps où on utilisait les miméographes ». Le dessinateur, célèbre pour ses vignettes dans El País, faisait référence à l’une des nombreuses difficultés à diffuser des contenus imprimés sous la chape du franquisme, tout particulièrement ceux qui faisaient intervenir le dessin. Le rapport conflictuel que l’illustration engagée a pu nourrir vis-à-vis des pouvoirs autoritaires fut l’une des causes des divers types de censure mis en place. Les périodes de conflits du XXème siècle ne rendent habituellement guère plus avenants les rapports en dessins et pouvoir, contrôle de l’expression et propagande obligent. Cette chape a d’ailleurs pesé régulièrement au XXème siècles dans de nombreux pays hispanophones. Les périodes de guerre, comme la guerre civile espagnole (1936-1939), de révolutions, comme celle de Cuba en 1959, de dictatures, comme celles de Primo de Rivera et Franco en Espagne, ou bien les régimes militaires du plan Cóndor dans les années 1970 en Amérique du Sud, ont plongé les aires hispaniques et latino-américaines dans des affres de violence, de répression et de peur, de propagande et de censure. Pourtant, le dessin, sous toutes ses formes et sur tous types de supports, a été et continue d’être un mode de représentation, d’instrumentalisation, de réflexion, de critique et d’endoctrinement de ces contextes de guerre et de dictature. Les caricatures de presse de la première moitié du XXème siècle fournissent un exemple récurrent de l’irrévérence du dessin envers le pouvoir. On a ainsi en tête la réaction outrée de l’Armée espagnole face à une illustration satirique de la revue catalane Cu-Cut en 1905 : pas moins de 300 soldats prirent d’assaut les locaux de la rédaction. Plus près de nous, dans les revues de bandes dessinées pour enfants éditées par les deux camps opposés durant la guerre civile espagnole, le dessin constitue à la fois un témoignage documentant ces périodes autant qu’une source indéniable, permettant à la postérité de mieux comprendre cette période et les idéologies en tension. 
Cruciale, la portée d’un dessin met donc en jeu des problématiques de réception. Quel public est-il visé ? Quel public y a effectivement accès ? Les canaux de diffusion et les espaces que vise à occuper le dessin sont donc primordiaux dans les messages qu’ils portent, qu’ils soient privés, comme la carte postale, ou publics, comme les affiches, au coeur des dispositifs de propagande. Par ailleurs, le récent développement des réseaux sociaux et des blogs a profondément modifié les pratiques de réception. Interactif et conversationnel, le web offre aux auteur·rice·s et lecteur·rice·s la possibilité d’échanger de façon directe, sans autre intermédiaire que le dispositif technique (un blog, un site web, etc.). Dans ce nouveau contexte socio-numérique, il devient nécessaire de repenser le rôle des lecteur·rice·s : celui-ci interviennent-ils·elles, par le biais des commentaires par exemple, dans l’élaboration de l’oeuvre ? Que devient la lecture lorsqu’elle se double d’une activité d’écriture ? On rejoint ici ce qu’Emmanuel Souchier appelle « la lettrure », vocable d’origine médiévale désignant « l’activité duelle et conjointe de l’écriture et de la lecture » (2012). Du côté de la production, comment les auteur·rice·s gèrent-t-ils·elles le faire énonciatif des lecteur·rice·s ? Est-il pris en compte dans la construction du message ? De ce point de vue, le numérique n’invite-t-il pas les auteur·rice·s à sortir du témoignage individuel au profit d’une énonciation polyphonique et collective ? Outre cette influence grandissante des lecteur·rice·s, il convient également de rappeler que les outils numériques sont porteurs de normes d’écriture plus ou moins coercitives. Un blog, par exemple, est un dispositif de publication fondé sur certaines consignes d’usage : il encourage à rédiger des billets concis, à utiliser le défilement vertical comme principal modalité de lecture, et enfin à accepter un mode d’interaction particulier (commentaires). Nous touchons ici à ce que Yves Jeanneret et Emmanuel Souchier (2005) appellent des architextes, soit des outils informatiques (un blog, un traitement de texte, etc.) dont la fonction première est de prescrire et de conditionner les pratiques. Reste alors à savoir comment les auteurs s’approprient et négocient ces prescriptions. Ces dernières exercent-elles une influence sur la teneur et/ou la compréhension des messages diffusés ? 
Mais les dessins ne sont pas uniquement des outils de critique et de reportage contemporains des événements qu’ils retracent. Nous observons la multiplication des bandes dessinées historiques et des romans graphiques-témoignages sur la guerre civile espagnole et la dictature franquiste, depuis le début des années 2000. De son côté, Matz a décrit les horreurs de la dictature argentine dans sa récente oeuvre Vies volées, Buenos Aires place de mai (2018). Le dessin permettrait-il de mettre en images des témoignages rétrospectifs, fréquemment liés à des réécritures d’une histoire familiale et intime, à une réappropriation d’archives personnelles jusque-là murées dans le silence, par-delà les frontières et la langue espagnole ? Ajoutons également que le web donne accès à des banques d’images quasiment illimitées, images que les auteur·rice·s peuvent s’approprier et insérer dans leurs productions. Dans sa célèbre biographie de Fritz Haber, David Vandermeulen a par exemple remanié et hybridé des visuels en tous genres (cartes postales, photographies, captures de film, etc.), le plus souvent récupérés sur Google. Le recours au numérique pose évidemment question, à plus forte raison lorsque les auteur·rice·s entendent témoigner de la réalité. Au fond, les images numériques, manipulables et modifiables tous azimuts, sont-elles conciliables avec la pratique du témoignage ou du reportage ? En multipliant les possibilités de retouche, le numérique jette un doute sur l’authenticité et la véridicité des images, ce que souligne fort justement David Vandermeulen dans un entretien accordé à l’historien Adrien Genoudet : « Internet a complétement changé la pratique des dessinateurs. Sans internet j’aurais mis 40 ans à faire Fritz Haber. Pour mes photographies reconstituées, elles sont composées de multiples éléments, qui sont largement anachroniques. […] Les lecteurs ne savent pas si c’est faux ou pas mais ils savent et voient qu’il y a du travail et ça a l’air vrai… ». Au-delà des questions touchant au modus operandi propre à chaque auteur·rice, on pourra s’interroger sur les spécificités du témoignage dessiné par rapport au témoignage écrit. Du fait de ses qualités figuratives, l’image permet-elle de montrer des anecdotes de vie difficilement exprimables sous une forme verbale ? Enfin, le fait de
surmonter les barrières linguistiques par le dessin facilite-t-il l’émergence d’une mémoire collective transnationale ?
Nous proposons de coordonner un numéro qui cherchera à étudier les spécificités du dessin en tant que moyen d’expression et de communication en contexte de guerre et de dictature. Nous interrogerons la capacité d'engagement politique, sociale et intime exprimée à travers le dessin et les nuances de ses modalités d’emploi par les régimes autoritaires, leurs opposants ou les différents camps en conflit. Nous nous demanderons dans quelle mesure le dessin peut capter l’instant, du croquis à la caricature en passant par le carnet de voyage, les productions numériques ou le fast-draw, et se faire l’instrument du témoignage ou du reportage. Nous proposons de voir comment ces carnets et ébauches contribuent à entremêler l’expérience personnelle et les observations sur le terrain, provoquant un brouillage entre les frontières de l’intime et l’enquête historique. Nous porterons une attention toute particulière aux différents traitements des archives, sur le mode du redessin, de l’intermédialité ou de la porosité. Enfin, les effets recherchés, entre autres, par les caricatures ou vignettes de presse — susciter des émotions allant du rire à la peur, divertir, illustrer, témoigner, dénoncer — supposent de s’interroger sur la réception et sur la place et le rôle des récepteurs face au dessin.

Nous proposons d’analyser, dans ce numéro, tous types de dessin, qu’il s’agisse d’images fixes ou animées, articulées avec du texte ou dépourvues de mots, publiées officiellement ou diffusées de manière illégale dans l’espace public, par exemple :
· la bande dessinée
· le roman graphique
· le dessin de presse
· les caricatures
· les affiches
· les cartes postales
· les graffitis et fresques murales
· les carnets de croquis
· les carnets de voyage
· la peinture, quelles que soient les techniques employées
· le dessin animé quelles que soient les techniques d’animation employées
· La pratique du dessin en contexte numérique.
Axes possibles
Nous vous proposons, pour ce numéro, quelques axes de réflexion non exhaustifs.
· Illustrer l’idéologie
· Dessin engagé : contester ou transmettre l'idéologie par l'image
· Dessin et propagande
· Censure (stratégies d'évitement et répression)
· Le dessin et la (re)construction mémorielle :
· Témoignage personnel ou familial
· Souvenirs d'enfance : perceptions et déformations de la guerre et de la dictature
· Le dessin comme source :
· Dessin-témoignage et reportage
· Histoire intime et histoire officielle : tensions et résonances
· Dessiner les archives : procédés de réappropriation
· Modalités de diffusion et de réception
· Les voies officielles de publication
· Stratégies de diffusion d’une critique du pouvoir
· Circuits underground et pratiques clandestines
· Publications mainstream sous les dictatures
· Conditions de production et de diffusion difficiles en temps de guerre
· Evolution des pratiques de réception et du rapport auteur·rice·s/lecteur·rice·s à l’heure du numérique

Mots-clés: dessin, bande dessinée, roman graphique, image, dictature, guerre, politique, civilisation, diffusion, édition, témoignage, reportage, Espagne, Amérique Latine

Modalités de soumission et d’évaluation
· Les articles seront évalués en double aveugle.
· Les propositions d’article, 4000 signes maximum et accompagnées d'une bibliographie et d’une
courte bio-bibliographie, doivent être envoyées à l'adresse suivante :

· Les propositions d’articles et articles peuvent être soumis en français et en espagnol.
· Les normes de rédaction sont consultables sur le site de la revue Kairos (http://kairos.univbpclermont.fr/normes-aux-auteurs)

Comité scientifique
· Viviane Alary (CNU 14, Université Clermont Auvergne, CELIS)
· Anne Beyaert-Geslin (CNU 71, Université Bordeaux Montaigne, MICA)
· Alain Chante (CNU 71, Université Paul Valéry Montpellier, LERASS)
· Benoît Mitaine (CNU 14, Université Paul Valéry, LLACS)
· Pascal Robert (CNU 71, Université Lyon 2 Lumière - ENSSIB, ELICO)
· Isabelle Touton (CNU 14) Université Bordeaux Montaigne, CHISPA, AMERIBER)
· Pablo Turnes (Facultad de Ciencias Sociales, Universidad de Buenos Aires)
· Luc Vigier (CNU 9, Université de Poitiers, ITEM-CNRS)

Évaluateur.rice.s du numéro :
· Laura Cecilia Caraballo (CNU 18, CNU 22, Université Bordeaux Montaigne, CLIMAS)
· David Gregorio (CNU 14, Université Paul Valéry, LLACS)
· Agatha Mohring (CNU 14, Université d’Angers, 3L.AM, Université Toulouse Jean Jaurès, LLA-Créatis)
· Philippe Paolucci (CNU 71, Université Toulouse Jean Jaurès, LERASS)
Calendrier
· Réception des propositions de contribution : 20 mars 2020
· Notification d’acceptation des propositions de contribution : 10 avril 2020
· Réception des articles : 29 juin 2020
· Publication prévue en 2021
Lieu Revue K@iros
Contact 

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Secrétaire générale

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