Féminités, masculinités et fiction sérielle espagnole : industries culturelles et assignations de genre Proposition d’appel à contributions pour le n°12 de la revue Genre en séries |
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Coordination du numéro
Viviane Albenga, maîtresse de conférences en sociologie, IUT Bordeaux Montaigne, MICA
Laetitia Biscarrat, docteure en sciences de l’information et de la communication, postdoctorante projet H2020 Detect, Université de Limoges, EHIC
Amélie Florenchie, maîtresse de conférences HDR en études hispaniques, Université Bordeaux Montaigne, AMERIBER-CHISPA
Présentation et appel à textes
La revue Genre en séries lance un appel à textes pour le dossier thématique du numéro 12, à paraître à l’automne 2020.
L’Espagne : un pays consommateur et producteur de séries télévisées
La fiction sérielle en Espagne a déjà une longue histoire. Elle commence dans la deuxième moitié du XIXe siècle avec les romans feuilletons publiés dans la presse, dont le lectorat était aussi bien masculin que féminin. Les premières fictions sérielles espagnoles datent de la fin des années 50 et leur identité est étroitement liée à ce contexte historique. TVE, la télévision nationale franquiste, est fondée en 1956 ; elle apparaît très vite au régime comme un formidable outil de propagande (Duran-Froix, 2009). Ainsi, Jaime de Armiñan crée les séries Galería de maridos en 1959 puis, devant le succès de cette première galerie de portraits de jeunes mariés, Galería de esposas en 1960 qui met en scène des modèles féminins en accord avec une idéologie national-catholique qui promeut la domesticité (modèle de « el ángel del hogar », ou la fée du logis)1.
La situation évolue dans les années 70 puis, avec la transition vers la démocratie, dans les années 80. Des femmes, comme la cinéaste Josefina Molina qui a débuté sa carrière sous le franquisme, la cinéaste Pilar Miró ou la scénariste Ana Diosdado, ont contribué à faire évoluer le traitement médiatique des femmes dans la fiction espagnole avec des fictions sérielles comme Anillos de oro (1983), dont l’héroïne est une avocate qui se spécialise dans le divorce, autorisé la même année, Segunda enseñanza (1986), dont l’héroïne est une professeure d’histoire divorcée vivant seule avec sa fille et ayant une liaison avec le directeur de son établissement, ou Teresa de Jesús (1984), une série multiprimée sur la vie de Sainte Thérèse d’Avila (Sangro et Plaza, 2010 ; Cascajosa Virino, 2013).
Mais le véritable essor des fictions sérielles nationales se produit dans les années 1995- 2000, dans le prolongement du développement des chaînes privées et régionales. La fiction sérielle nationale et en particulier le format « dramedia familiar » connaît alors un succès sans précédent avec des feuilletons comme Farmacia de guardia (Antena 3, 1991-1995), Médico de familia (Telecinco, 1995-1999) ou Menudo es mi padre (Antena 3, 1996-1998). En ce qui concerne la représentation des femmes, l’accent est encore mis sur la maternité : les héroïnes travaillent mais sont, avant tout, mères. La maternité reste l’apanage des femmes, y compris lorsqu’elles travaillent, et ce, quelle que soit la série : dans Periodistas (1998-2002, Telecinco), qui défend des valeurs libérales, aussi bien que dans Mujeres (2006, TVE2), dont la protagoniste est une prolétaire (García de Castro, 2002 : 206). Ces fictions sont regardées par un public mixte, quoique majoritairement féminin : ainsi, 6,5 millions de téléspectatrices et 4,5 millions de téléspectateurs ont regardé l’épisode clé de Médico de familia le 23 décembre 1997, durant lequel Nacho et Alicia s’embrassent pour la première fois.
Une étude sur le traitement et la représentation des femmes dans les séries télévisées émises sur les chaînes nationales espagnoles a été publiée en 20072, il y a donc à peine plus de 10 ans, par l’Instituto de la Mujer qui constatait la persistance de stéréotypes de genre, concentrés dans les qualités attribuées aux personnages et dans les relations entre personnages de sexes opposés. En particulier, l’étude montre que la beauté reste l’apanage des personnages féminins3 et que les personnages féminins qui réussissent cachent toujours une part d’ombre (toujours liée à une volonté d’écraser les autres) alors que leurs homologues masculins sont des modèles de vertu4. Les relations sont elles aussi stéréotypées : les personnages féminins sont les leaders dans le domaine privé (domestique et affectif) et, lorsqu’il y a inversion des rôles, il n’y a pas déconstruction des stéréotypes et les inégalités persistent5. L’étude montre enfin que la réception des séries ne varie pas en fonction du sexe ni de l’âge et que l’immense majorité des téléspectateur.rices perçoivent leurs séries préférées comme globalement non discriminantes alors que, ponctuellement, ils et elles détectent des constructions stéréotypées6. Les auteures du rapport pointent alors le caractère spécifiquement acritique de la réception des séries télévisées, enjoignant dans leurs conclusions les créateur.rices et producteur.rices à réfléchir aux modèles que transmettent leurs séries.
Une décennie plus tard, où en est-on ?7 En 2016, environ 85 % de la population espagnole a regardé la télévision8 pour une moyenne de 233 minutes par jour et par personne9. Si les rencontres sportives occupent la quasi-totalité des cinquante meilleures audiences télévisées de l’année, on relève également la place de la fiction télévisuelle dans ce classement. Deux fictions sérielles El príncipe (Mediaset et Plano a plano) et La que se avecina (Mediaset et Contubernio) diffusées sur la chaîne privée commerciale Telecinco ont en effet franchi la barre des 5 millions de téléspectateurs.rices tandis que la fiction apparaît comme le genre le plus présent sur les chaînes de télévision avec 41,1 % du temps de diffusion (l’année suivante, la fiction représente 41,3 % du temps total de diffusion10.).
Les mutations du paysage audiovisuel (téléchargement, streaming, arrivée de Netflix en Espagne en 2015) n’impactent pas négativement la programmation de fiction, tant du point de vue du volume de programmation que de sa capacité à produire des événements télévisuels dont témoignent le classement annuel des audiences. Elle demeure un produit culturel plébiscité mais aussi une industrie dynamique. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel français a établi qu’entre 2009 et 2012 c’est bien la fiction nationale qui domine le palmarès des meilleures audiences de fiction en Espagne grâce à une « politique de commandes des grandes chaînes en faveur du développement de séries et mini-séries plus onéreuses »11. Les chiffres de l’Observatoire Européen de l’Audiovisuel (rapport Eurofiction) montrent quant à eux que l’Espagne produit un volume horaire élevé de fiction nationale avec 1306 heures produites en 2001, ce qui la situe à la même échelle que le Royaume-Uni (1463 heures) contre 553 heures pour la France et 627 heures pour l’Italie. Ces chiffres n’auraient pas subi de fortes modifications en dix ans selon le rapport de la mission Chevalier (2011), lequel souligne d’ailleurs « les réussites artistiques des séries venues de l’Europe scandinave comme de l’Espagne »12. Du côté des professionnel.le.s, le livre blanc du bureau d’études The Wit place l’Espagne parmi les cinq pays ayant vendu le nombre le plus élevé de « nouveaux concepts » de fictions télévisuelles (séries et téléfilms) à l’international entre 2010 et 201413. L’Espagne est donc bel et bien un pays consommateur de fiction tout autant que producteur, qu’il s’agisse des séries à destination des principales chaînes nationales ou de la politique de soutien à la création mise en œuvre par la chaîne publique catalane TV3 avec les succès qu’on lui connaît (par exemple Ventdelplà, Plats Bruts, El cor de la ciutat ou Temps de silenci).
Genre et médias : éléments de contexte
L’édition 2015 du Global Media Monitoring Project souligne la permanence des inégalités femmes-hommes dans les médias espagnols : les femmes représentent seulement 28% des personnes qui figurent dans les nouvelles des journaux, à la radio et à la télévision. Elles sont minoritaires dans tous les sujets, à l’exception des informations relatives aux crimes et à la violence où elles sont alors tristement majoritaires avec un taux de 51%.
Les études féministes et de genre espagnoles se sont pourtant largement saisies du champ de recherche « genre et médias », qu’il s’agisse de la violence de genre dans le discours d’information télévisuel ou de l’étude des personnages dans les fictions sérielles. Dans le sillage des mouvements féministes, les travaux universitaires se développent à partir des années 1980 tandis que des collectifs – la Asociación de Mujeres de Mujeres Cineastas y de Medios Audiovisuales, la Asociación de Mujeres Periodistas de Catalunya, la Asociación Española de Mujeres Profesionales de los Medios de Comunicación (AMECO) et la Red Internacional de Mujeres Periodistas – luttent pour davantage d’égalité. On peut faire l’hypothèse que cette mise à l’agenda scientifique de la question du genre et des médias n’est pas étrangère au contexte national d’une politique de lutte contre les violences et inégalités de genre engagée par les différents gouvernements socialistes, et notamment celui de José Luis Rodríguez Zapatero. C’est sous le deuxième gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez qu’est créé l’important Instituto de la Mujer et son Observatorio de la Imagen de la Mujer, qui produit des indicateurs relatifs à la place des femmes dans les médias et la publicité en Espagne. D’abord rattaché au ministère de la Culture, puis des Affaires sociales, l’Instituto de la Mujer est désormais lié au Ministère de la Santé, de la Politique sociale et de l’Égalité. C’est également à un gouvernement socialiste, celui de José Luis Rodriguez Zapatero, que l’on doit la loi contre les violences de genre de 2004 et la loi pour l’égalité effective entre hommes et femmes de 2007, qui se saisissent à la fois de la question de l’invisibilité des femmes dans les médias et de celle des politiques d’égalité dans les industries médiatiques14.
Un regard sur les bilans RSE « Responsabilidad corporativa » des deux principales chaînes généralistes diffusant de la fiction sérielle, Antena 3 (Atresmedia) et Telecinco (groupe berlusconien Mediaset) étaye cette hypothèse. Si on prend pour référence l’année 2010, année d’adoption de la loi en faveur de l’avortement15, on observe que les bilans RSE des deux groupes insistent fortement sur leur engagement contre les violences de genre et en faveur de l’égalité femmes-hommes à la fois dans leurs programmes et leurs organigrammes16. En 2017, cette préoccupation persiste chez les deux principaux groupes audiovisuels privés espagnols. Mediaset insiste sur trois sujets portés à l’écran : le travail du sexe, les violences de genre (notamment conjugales) et le mouvement #MeToo. Atresmedia souligne quant à lui son engagement dans la lutte contre les violences de genre, notamment grâce à une fondation pour l’insertion professionnelle des femmes victimes. Atresmedia insiste également sur sa programmation en faveur de l’égalité femmes-hommes, notamment dans le feuilleton Amar es para siempre (fiction leader de la sobremesa – 16h30 – avec 12,2% de parts d’audience).
S’il existe en Espagne un riche ensemble de travaux consacrés à la fiction sérielle, qu’il s’agisse des fictions importées ou nationales, les fictions sérielles espagnoles sont quasiment inexplorées du côté des sciences de l’information et de la communication françaises tandis que les quelques travaux de l’hispanisme français sont très récents17 (Houdiard 2016, 2017). Nous cherchons dès lors ici à donner à connaître des travaux français et hispanophones sur la question.
Les recherches hispanophones déjà existantes peuvent être distinguées en quatre ensembles schématiques18. Un premier ensemble de travaux concerne les stratégies publicitaires et le placement de marques dans les fictions sérielles (Del Pino, 2006 ; Fernández Gómez, 2012). Ensuite, les travaux académiques espagnols analysent les séries télévisées à l’aune de leurs déclinaisons transmédiatiques et crossmédiatiques (Scolari, 2013 ; Mayor Mayor, 2014 ; Rodríguez Ferrándiz, Ortiz Gordo et Sáez Núñez, 2014 ; Sánchez Castillo et Galán, 2016). Une troisième orientation concerne la réception et les usages, envisagés en lien avec une classe d’âge – principalement les adolescent.e.s et jeunes adultes – (Montero, 2006 ; Fedele et García Muñoz, 2010 ; ) ou comme fandom (Rubio Hernández et López Rodríguez, 2012 ; Lacalle et Castro, 2018). Enfin, la quatrième orientation concerne la fabrique du genre dans la fiction sérielle. Ces travaux peuvent porter également sur les pratiques de réception, notamment en croisant genre et classe d’âge (Lacalle, 2012 ; Masanet, Medina Bravo, Ferrés, 2018). Néanmoins le cœur de ces études concerne les représentations de genre ou des sexospécificités et a fortiori celles des femmes (Meléndez Malavé et Vera Balanza, 2003 ; Galán Fajardo, 2007 ; Menéndez Menéndez, 2014).
1 On peut également penser à Crónicas de un pueblo d’Antonio Mercero qui exalte une Espagne rurale contemporaine héritière de la vision idéaliste propre au costumbrisme du XIXe siècle et reprise par l’idéologie franquiste.
2 AAVV, Tratamiento y representación de las Mujeres en las teleseries emitidas por las cadenas de televisión de ámbito nacional, no99, Madrid, Instituto de la Mujer, 2007.
3 Ibid., p. 168. “A su vez, la belleza física es un elemento constante en la realidad de los personajes femeninos, que aparece de muy diversas formas: como objetivo ideal a alcanzar, como cualidad que se pierde tristemente con la edad, como elemento para hacer valer a la hora de conseguir los objetivos personales, como eterno deseo masculino, etc.
4 Ibid., p. 187.
5 Ibid., p. 187-188.
6 Ibid., p. 185. “La gran mayoría de las personas entrevistadas concluían que sus teleseries favoritas no eran en absoluto discriminatorias, pero sin embargo eran capaces de detectar en ellas numerosos elementos que deberían haber transformado esa aseveración en un sentido diametralmente opuesto.”
7 Le développement reprend pour partie un texte à paraître dans Communication (Biscarrat, 2019).
8 https://es.statista.com/estadisticas/475958/penetracion-de-television-en-espana/. Consulté le 10 avril 2018.
9 Rapport de Barlovento Comunicación selon les chiffres de Kantar Media. [En ligne].
https://www.audiovisual451.com/el-consumo-televisivo-desciende-en-espana-en-2016-pero-la- inversion-publicitaria-crece-por-tercer-ano-consecutivo/ Consulté le 10 avril 2018.
10 Rapport de Barlovento Comunicación selon ses chiffres propres, Infoadex, INE, CNMC et Kantar Media. [En ligne]. https://www.barloventocomunicacion.es/images/publicaciones/ANUALES/analisis- televisivo-2017-Barlovento.pdf. Consulté le 10 avril 2018.
11 Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, L’audience des programmes de fiction dans les grands pays européens entre 2009 et 2012. [En ligne]. https://www.csa.fr/Informer/Toutes-les- actualites/Actualites/L-audience-des-programmes-de-fiction-dans-les-grands-pays-europeens-entre- 2009-et-2012. Consulté le 22 septembre 2018.
12 Rapport de la mission Chevalier (2011). Fiction française, le défi de l’écriture et du développement, p. 11.
13 Selon l’agence The Wit, MipTV 2014.
14 Voir Global Media Monitoring Project, 2015 et « The EU Mutual Learning Programme in Gender Equality – Women and the Media », European Commission, 2018.
15 Le gouvernement de José Luis Rodríguez Zapatero est à l’origine de la loi en faveur de l’avortement de 2010 : Ley Orgánica 2/2010, de 3 de marzo, de salud sexual y reproductiva y de la interrupción voluntaria del embarazo.
16 Telecinco, Responsabilidad Corporativa. Informe 2010 et Grupo Antena 3, Informe anual y de responsabilidad corporativa 2010.
17 Ajoutons à cela la tenue de la journée d’études « La fabrique du genre dans la fiction sérielle hispanique et hispano-américaine/La fábrica del género en la ficción serial hispánica e hispanoamericana », coord. Amélie Florenchie et Laetitia Biscarrat, Ameriber – Chispa, 11.10.2018, Université Bordeaux Montaigne.
18 Le développement reprend pour partie un texte à paraître in Communication (Biscarrat, 2019).
Cadre de l’appel à articles
Selon Teresa de Lauretis, les médias opèrent comme une « technologie de genre », c’est-à- dire une « technologie politique complexe » (Lauretis, 2007 : 41) qui opère dans les médias à la fois dans leur dimension culturelle et technique. Aussi le cadre théorique que nous proposons pour cet appel à articles consiste à envisager le processus médiatique comme double processus de construction de sens, tant du côté de la production que de la réception. De ce positionnement théorique découle l’enjeu de « prendre la fiction au sérieux » (Coulomb-Gully, 2012 : 38), en considérant la fiction sérielle comme une thématisation du social dont l’analyse révèle des processus de production et matérialisation des rapports de genre.
La consommation de fiction sérielle grand public est associée à un public féminin, celui des grilles de programmation de l’après-midi et des histoires sentimentales. Constitutive de la dialectique innovation/répétition qui caractérise les industries culturelles, la sérialité a pu, à tort car un simple effort d’historicisation contredit cette lecture, être appréhendée selon une axiologie des biens culturels qui se traduit notamment par « des formes de hiérarchisations qui structurent la réception critique des fictions sérialisées, qu’elles soient à dominante sérielle ou feuilletonnante » (Biscarrat, Lécossais, 2016 : 5). Cette hiérarchisation se traduit également par sa distribution genrée qui organise à la fois les régimes de valeur associés au genre sériel, les horizons d’attente et les pratiques. « Les productions culturelles sont genrées » (Sellier, 2010 : 3) et les productions dépréciées sont majoritairement associées à un public féminin, à l’instar des soap operas plébiscités par les téléspectatrices étatsuniennes (Brown, 2004) ou des culebrones, terme dépréciatif qui renvoie aux feuilletons et telenovelas aux audiences marquées au féminin. Or, loin d’être une « forme actualisée d’opium du peuple » (Hall, 2017 : 188), la culture populaire est « l’un des lieux où la lutte pour ou contre la culture du puissant est engagée […] C’est l’arène du consentement et de la résistance » (Hall, 2017 : 196). L’étude des rapports entre culture populaire et pouvoir constitue dès lors un terrain privilégié pour observer l’agencement et/ou les réagencements des rapports de domination, parmi lesquels les rapports sociaux de sexe. Ainsi, à l’opposé d’une conception immanentiste des corpus, ce numéro de Genre en séries implique d’articuler l’étude des thèmes, des personnages, des discours avec les logiques de production et de réception sans lesquelles on ne saurait saisir le cadre idéologique sous-jacent. Les propositions pourront s’inscrire dans l’un des axes suivants qui tiennent ensemble les enjeux liés aux représentations, à la production et à la réception.
Axe 1 : Industries culturelles, place des femmes et féminisme : la réappropriation du féminisme dans les industries culturelles
Si le plafond de verre dans les industries culturelles persiste selon des modalités spécifiques à ces industries, l’approche féministe permet de saisir des logiques productrices d’inégalités socio-sexuées. En effet, l’analyse féministe du travail numérique développée par Kylie Jarrett (2016) montre que le modèle d’affaires de la « gratuité marchande » (Farchy, Méadel, Sire, 2015) implique une part de travail de reproduction sociale non-rémunéré dont la
« gratuité » permet de diminuer les coûts de la force de travail et augmenter considérablement les profits, comme l’a déjà montré Silvia Federici à propos du travail domestique en régime capitaliste (Federici, 2012 : 92).
Ce travail non rémunéré accompagne la précarisation du travail créatif, analysée par Remedios Zafra (2018) comme une dépossession des valeurs et des motivations enthousiastes investies dans la création, ainsi qu’une dépossession de la maîtrise de sa trajectoire tant professionnelle que personnelle, qui touche plus particulièrement les femmes. Celles-ci sont particulièrement représentées dans les tâches non rémunérées. À ce titre, comment les séries espagnoles sont-elles produites dans ce contexte de précarisation à l’ère numérique, et quels sont les effets en termes de rapports sociaux de sexe ? Comment cette production affecte-t-elle le travail de scénarisation, de réalisation, de diffusion, ainsi que les actrices et acteurs ? En quoi peut-on lier le mode de production, la forme et le contenu des séries espagnoles contemporaines ?
Axe 2 : Réception et usages de la fiction à l’aune du genre
L’étude des représentations et de la réception des biens culturels a ouvert la voie à l’analyse de la réappropriation du féminisme par la culture populaire. Angela McRobbie (1991, 2009), qui a initialement centré son propos sur le braconnage féministe que permettait la « culture jeune » a réévalué son propos dans The Aftermath of Feminism. Elle considère dès lors que la culture populaire diffuse un féminisme individualiste et libéral qui permet au capitalisme de se réapproprier les idées féministes en les vidant de leur charge subversive. Cette tension entre appropriation et dépolitisation du féminisme traverse les représentations de plusieurs séries espagnoles à succès comme Las chicas del cable (Netflix, 2017-), et sans doute leurs réceptions. Les articles pourront explorer cette piste en étudiant séparément ou ensemble les représentations du féminisme, les stéréotypes de genre et leur subversion, ainsi que leurs réceptions. La réception s’avère précisément être l’aspect le moins développé, au-delà même de la production hispanophone. Si les publics adolescents et jeunes adultes ont été étudiés sous l’angle du genre et de l’âge, comme mentionné précédemment, ces travaux n’épuisent pas le sujet tant la diversité des publics et des rapports sociaux auxquels s’articule le genre, demeure à explorer. Les usages numériques, qui contribuent à brouiller les frontières entre production et réception, constituent un champ d’investigation encouragé dans cet appel à articles. Ces usages incluent certes les fan fictions à partir des séries espagnoles, mais également les critiques profanes en ligne, les discussions sur des sites et groupes dédiés, etc. Dans un contexte de mobilisation féministe particulièrement forte en Espagne, il est d’autant plus pertinent de s’intéresser aux usages et réceptions des séries espagnoles, que celles-ci mettent explicitement en question les rapports de genre ou non. Comment les réseaux sociaux alimentent-ils ces réceptions ? Peut-on dégager des communautés interprétatives (Radway, 1984) depuis le public d’une série spécifique, depuis un site ou un groupe réuni sur des bases culturelles ou politiques ?
Calendrier prévisionnel
Les propositions d’articles d’une page maximum devront présenter précisément le cadre théorique, le corpus/terrain et la méthodologie. Elles seront assorties d’une courte notice biographique.
Les propositions d’article devront être envoyées aux adresses suivantes :
Bibliographie
AAVV (2007), Tratamiento y representación de las Mujeres en las teleseries emitidas por las cadenas de televisión de ámbito nacional, no99, Madrid, Instituto de la Mujer.
BISCARRAT Laetitia (2019), « Idéologie raciste et fiction télévisuelle. L’exemple des séries espagnoles Física o Química et Aída », Communication, vol.36/2, (à paraître).
BISCARRAT Laetitia et Sarah LECOSSAIS (2016), « Dynamique des études de genre appliquées aux objets médiatiques. Introduction », Genre en séries, n° 3, p. 1-12.
BROWN Mary Ellen (2004), « Women and soap opera: Resistive readings », dans Cynthia CARTER et Linda STEINER (dir.), Critical Readings: Media and Gender, Maidenhead, Open University Press, p. 287-306.
CASCAJOSA VIRINO Concepción (2013), « Mujeres creadoras de televisión y cambio social. El caso de Ana Diosdado », dans SANGRO Pedro et Juan F. PLAZA (2010), La representación de la mujeres en el cine y la televisión contemporáneos, Madrid, Laertes, p. 177-197.
CASTILLO SÁNCHEZ Sebastián et Esteban GALÁN, (2016), « Narrativa transmedia y percepción cognitiva en El Ministerio del Tiempo (TVE) », Revista Latina de Comunicación Social, 71, p. 508-526.
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