Roman noir et journalisme : enquête de vérité |
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Appel à communication
Roman noir et journalisme : enquête de vérité
Colloque international
Université de Pau et des Pays de l’Adour / Université Savoie Mont Blanc
Pau / Chambéry, du 1er au 4 octobre 2019
Organisation :
Le roman noir, littérature du réel, tout comme son parent le roman policier, n’est autre que l’héritier du feuilleton populaire qui autrefois paraissait en épisodes dans la presse. Ce lien originel s’est maintenu durant les différentes étapes d’évolution historique du genre, et s’est en particulier prolongé dans le polar par un rapport très fort à l’actualité et une implication sociale brute, souvent accompagnée d’un sentiment d’urgence. Le journalisme, dit le mexicain Paco Ignacio Taibo II, lui-même romancier et journaliste, est « la meilleure des littératures parce que c’est la plus immédiate »[1]. Quand ils ne sont pas eux-mêmes journalistes ou anciens journalistes comme certains de leurs célèbres prédécesseurs, les auteurs de polar de ce début de XXIesiècle confessent d’ailleurs volontiers leur dette à l’égard de la presse à l’instar, par exemple, d’Alexis Ravelo, écrivain canarien dont l’un des romans s’achève sur cette note de l’auteur particulièrement éloquente : « Ce roman est né de ma stupeur, de ma rage, de mon étonnement face à la réalité et, dans une certaine mesure, de ma confusion face à certaines chroniques journalistiques »[2]. De fait, le journalisme d’enquête demeure aujourd’hui une source d’inspiration intarissable pour le polar qui, dans le prolongement du roman noir américain des années 1920 et 1930, entreprend de décrire les dérives d’une société globalement injuste et corrompue : scandales financiers, corruption politique, crime organisé, réseaux de prostitution révélés par la presse nourrissent les pages de nombreuses fictions policières publiées au cours de ces dernières années.
Dans la presse ou dans le roman noir, l’enquête est « enquête de vérité », selon l’expression de Jean Pons[3] ; la progression du lecteur est celle d’un individu qui découvre un monde en toute lucidité, sous son jour le plus cru, et cherche des réponses aux questions que cette appréhension critique du réel fait naître en lui. A une époque où les sources d’information se sont multipliées et diversifiées, où la manipulation médiatique est quasiment devenue une norme et remet sans cesse en question le lien entre réalité et fiction, le polar serait même devenu selon certains un outil de dénonciation plus efficace et plus redoutable que la presse. Telle est l’opinion de l’écrivain et journaliste espagnol Javier Valenzuela, selon lequel « il est de plus en plus difficile de raconter dans les journaux écrits traditionnels des histoires vraies susceptibles de déranger des banquiers, des chefs d’entreprise et des gouvernants (propriétaires de ces médias), et cela a probablement accentué la nécessité de le faire avec l’alibi de la fiction »[4]. De fait, le journalisme traverse depuis quelques années une crise de crédibilité sans précédent : course à l’audience, obsession du buzz, éloignement du terrain, concentration aux mains de quelques milliardaires sont autant de maux qui affecteraient les médias et qui, régulièrement, reviennent sur le devant de la scène pour caractériser la crise profonde qui les affecte. A l’ère de la post-vérité, dans laquelle les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles, le journalisme est régulièrement soupçonné de renoncer à la quête de la vérité pour céder à la tentation de l’infox, nous souhaitons dresser un état des lieux actualisé des relations complexes entre le roman noir et le journalisme au XXIesiècle, toutes langues confondues.
Un colloque international, organisé conjointement par l’université de Pau et des Pays de l’Adour et l’université Savoie Mont Blanc, se tiendra du 1erau 4 octobre sur les deux sites selon l’organisation suivante : les 1eret 2 octobre à Chambéry, puis les 3 et 4 octobre à Pau, auront lieu une rencontre avec un écrivain l’après-midi du premier jour (ouverte au grand public et animée par un enseignant-chercheur), puis une journée de communications le deuxième jour sur le campus. Chacune des deux universités orientera la réflexion sur une problématique précise.
A Chambéry, les 1er et 2 octobre (en présence de Dominique Manotti) :
ROMAN NOIR ET FAITS DIVERS
« Ce roman est une fiction. Toute ressemblance avec des évènements ou personnages réels serait une pure coïncidence. ». Cet avertissement préalable n’a pas évité à Thierry Jonquet une convocation devant un tribunal suite à la parution de son roman Molochen 1998, avant d’être relaxé par le Tribunal de Grande Instance de Paris qui dans son jugement reconnut le fait divers comme « une source privilégiée d’inspiration pour les auteurs de romans policiers ». Le fait divers délictueux ou criminel est ainsi la matière première de l’écriture aussi bien chez le journaliste que chez l’auteur de polar. Parfois terrifiant, souvent troublant ou fascinant, il constitue toujours une déviance façonnée par le dysfonctionnement profond d’un individu et/ou d’une société. « Le fait divers rompt avec la norme, résiste au raisonnable, ouvre sur l’excès et l’interdit, exprime la part maudite de l’homme et de la société », dit Thierry Jonquet[5]. En quoi ces caractéristiques lui permettent-elles d’avoir un lien privilégié avec le genre fictionnel du roman noir ? Comment définir le rapport au réel que les auteurs de polar choisissent d’établir en s’inspirant de faits divers ? Quel en est l’impact sur la réception par un lecteur qui peut identifier des faits ou des protagonistes, ou au contraire les découvrir par l’intermédiaire de la fiction ? Est-il pertinent comme le font certains de parler de « fiction du réel » ? Comment la démarche du romancier se distingue-t-elle de celle du journaliste dans le traitement du fait divers ? Le fait divers est à entendre au sens large : criminel, économique, social ou politique.
A Pau, les 3 et 4 octobre (en présence de Leonardo Padura) :
ROMAN NOIR ET JOURNALISME
Les deux journées de Pau seront consacrées aux relations entre roman noir et journalisme en ce début de XXIesiècle et en particulier aux deux dimensions suivantes :
-Le personnage de l’enquêteur journaliste dans la fiction criminelle ultra-contemporaine : explorateur du monde qu’il découvre et donne à lire, le reporter est un investigateur hors pair et dès 1930, la figure du journaliste s'impose comme représentation clef du polar, aux côtés du privé dur à cuire, du flic violent et de la femme fatale. Qu’en est-il dans le polar du XXIesiècle ? Les personnages de journalistes enquêteurs sont-ils les descendants directs de Rouletabille ? Sont-ils animés du même désir de vérité ? Quelles sont leurs méthodes d’investigation ?
-Les écrivains journalistes ou anciens journalistes : si de nombreux auteurs de polar du siècle dernier sont passés par le journalisme avant de devenir écrivains, n’hésitant pas à utiliser la matière de leurs enquêtes pour écrire leurs romans, c’est encore le cas en ce début de XXIe siècle. Quel rapport ces écrivains entretiennent-ils avec leur autre activité professionnelle ? Dans quelle mesure leurs enquêtes journalistiques présentes ou passées nourrissent-elles leurs fictions policières ? Peut-on considérer que la presse fournit sa matière première au polar ultra-contemporain ? Quel usage le polar fait-il de cette matière ? Les emprunts et hybridations entre journalisme et littérature seront le principal objet de ce colloque.
Les propositions de communication devront porter sur des romans noirs parus entre la fin des années 90 et nos jours, tous pays confondus, et s’appuyer sur les problématiques esquissées dans le texte de cet appel.
Les propositions sont à adresser par mail aux deux organisatrices, sous forme d’une demi-page accompagnée de quelques lignes de présentation de l’auteur, avant le 4 mai 2019. Réponse le 16 mai 2019. Publication conjointe des actes prévue courant 2020.
[2]« Esta novela surgió del estupor, de la rabia, del extrañamiento ante la realidad y, en cierta medida, de mi confusión ante algunas crónicas periodísticas », Alexis Ravelo, El peor de los tiempos, Madrid, Alrevés, 2017, p. 359. [4]« es posible que la creciente dificultad para contar en los periódicos impresos tradicionales historias verdaderas que incomoden a banqueros, empresarios y gobernantes–los amos de esos medios–, haya acentuado la necesidad de hacerlo bajo la coartada de la ficción », https://blogcronicanegra.wordpress.com/2017/11/24/periodismo-y-novela-negra/ |
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Lieu Chambéry/Pau | ||||||
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