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Appel à contributions « Correspondants de guerre : aire latine 1918-1939 » Télécharger au format iCal
 
Appel à contributions : date limite 1 novembre 2018
Université d’Angers, 9-10 mai 2019
Co-organisation avec Université Paris Sorbonne/ Université Savoie Mont Blanc
Problématique générale
Quels sont les soubassements et les expressions idéologiques, politiques, socio-culturels et/ou esthético-littéraires qui composent la figure aux contours multiples du correspondant de guerre dans l’entre-deux-guerres, spécifiquement dans l’aire latine, à la fois théâtre de conflits et pourvoyeuse de correspondants dans le monde entier ? En quoi cette figure diffère-t-elle de celle des écrivains-voyageurs ? Et dans quelle mesure ces deux modèles se ressemblent-ils ou se fondent-ils ? Quels sont les impacts des conflits intermédiaires des années 1918-1939 sur le renouvellement de la fonction des correspondants de guerre ? Enfin, sachant que la plupart de ces conflits naissent en tant que conséquences des visées impériales de régimes antiparlementaires à vocation révolutionnaire (guerres coloniales ou résistances anticoloniales, internationalisation des révolutions rouges, noires ou brunes, tensions géopolitiques entre démocraties et régimes totalitaires ou autoritaires, etc.), en quoi les correspondants de guerre de cette époque de transition sont-ils le produit de ces bouleversements civilisationnels, et, surtout, en quoi sont-ils le signe avant-coureur de la catastrophe redoutée d’un second conflit mondial, dont la guerre d’Espagne est par excellence la “répétition générale” ? Quoique circonscrite à l’aire latine et à ses colonies, les études proposées pourront évidemment porter sur des correspondants de guerre provenant d’autres aires géographiques (Allemagne, Grande-Bretagne, États-Unis, Union soviétique etc.), pourvu qu’ils opèrent dans l’aire latine.
Les propositions de communication (3000 signes espaces compris, au maximum) sont à adresser d’ici le 1 novembre 2018 aux organisateurs du Colloque international, Manuelle Peloille (Université d’Angers), Olivier Dard (Université Paris Sorbonne : Sorbonne Université/Labex EHNE) et Emmanuel Mattiato (Université Savoie Mont Blanc : LLSETI – EA3706) :
Comité scientifique : François Cochet (Université Paul Verlaine), António Costa Pinto (Université de Lisbonne), Olivier Dard (Université Paris Sorbonne), Yves Denéchère (Université d’Angers), François Hourmant (Université d’Angers), Michel Leymarie (Université Lille 3), José Ferrándiz Lozano (Universitad de Alicante), Emmanuel Mattiato (Université Savoie Mont Blanc), Barbara Meazzi (Université Nice Sophia Antipolis), Didier Musiedlak (Université Paris Nanterre), Manuelle Peloille (Université d’Angers), Francesco Perfetti (LLUIS Guido Carli), Ana Isabel Sardinha (Université de la Sorbonne Nouvelle), Frédéric Turpin (Université Savoie Mont Blanc).
 
 
Développements et axes théoriques
Quoique la figure du correspondant de guerre soit apparue assez tardivement, notamment à l’occasion de la guerre de Crimée, elle prend un relief particulier dans le contexte de la « montée aux extrêmes » qui caractérise le XXe siècle. Une fois passées les épopées postromantiques exaltées par les écrivains-journalistes de la seconde moitié du XIXe siècle, tout imprégnés des élans nationalistes et unitaires, c’est véritablement au cours de la Première Guerre mondiale que se révèle une génération d’écrivains-journalistes plus proprement correspondants de guerre. Loin de l’idéal anglo-saxon de « journalistic objectivity »[1], les journalistes européens voient dans les événements de 1914-1918 une occasion de poursuivre sur les champs de bataille un engagement politique mûri au début du siècle, soient-ils nationalistes, socialistes, internationalistes et/ou républicains. Le cas de Benito Mussolini, simultanément journaliste socialiste hétérodoxe et soldat sur le front, acquiert ici une valeur paradigmatique. Ce journalisme politique de tranchée cohabite alors avec des chroniques plus littéraires et pittoresques (que l’on songe par exemple aux écrits de Colette depuis Verdun, certes non dépourvus de conscience politique). Dans le cadre du colloque international, co-organisé par les Universités d’Angers, Paris Sorbonne et Savoie Mont Blanc, il apparaît urgent non seulement de dresser un panorama du journalisme de guerre en Europe, et spécifiquement dans l’aire latine et les colonies, et de combler le vide existant sur ce thème par rapport aux études nombreuses portant à la fois sur les journalistes anglo-saxons et sur la sphère anglo-américaine[2]. Quoique la recherche sur les correspondants de guerre soit très avancée en Italie et en Espagne, elle est quasi inexistante en France (à l’exception de l’écrivain-journaliste voyageur, la plupart du temps analysé sous un angle quasi exclusivement littéraire[3]) et il n’existe aucune synthèse sur les écrivains-journalistes en Europe et (moins encore) sur cette figure très spéciale que sont les correspondants de guerre à l’échelle continentale.
Le journalisme de guerre qui se développe lors du premier conflit mondial est, nous l’avons souligné, un point de départ pour appréhender la question des correspondants de guerre dans l’aire latine dans l’entre-deux-guerres. Les conséquences de la théorisation de la violence politique par Sorel et sa mise en œuvre lors de la révolution bolchévique de 1917 devront aussi être examinées lors des débats que souhaite stimuler le colloque. Il convient de souligner l’importance de cette montée en force de la violence politique car elle explique, dans le contexte particulier des dictatures et des totalitarismes naissants, la concurrence qui ira croissant entre les armées régulières et les différentes milices citoyennes mobilisées par les régimes nouveaux, en particulier dans la Russie soviétique, l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie. Ce processus, qui générera au cours du second conflit mondial la figure du « partisan » décrite par Carl Schmitt, permet de mieux comprendre la militarisation croissante de la presse italienne à partir des années trente, et notamment de la guerre d’Éthiopie ; militarisation qui est parachevée au début de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la plupart des correspondants de guerre italiens dépendent à la fois du Ministère de la Culture et de la Propagande et des Armées, en vertu de leur service militaire ou de leur passé de vétérans[4]. On doit rappeler ici que les « guerre fasciste », de l’Éthiopie à l’Espagne, jusqu’à l’annexion de l’Albanie, sont propices à l’éclosion d’une génération de chefs issus du journalisme (que l’on pense au militant historique Asvero Gravelli ou au futur « gerarca » Alessandro Pavolini, qui se fait remarquer pour ses reportages en Éthiopie) ou d’écrivains-journalistes brillants qui vont profondément marquer les lettres italiennes, de Dino Buzzati à Curzio Malaparte, Leo Longanesi, Virgilio Lilli, Indro Montanelli, Orio Vergani ou Salvatore Aponte. En Allemagne, en URSS et dans certains pays d’Europe centrale et orientale, on observe un processus similaire dans le contexte des guerres “révolutionnaires” ou “populaires”, de “conquête de l’espace vital” ou de “défense nationale”.
Le correspondant de guerre provenant de régimes totalitaires ou autoritaires a donc des spécificités qui le distinguent du banal reporter de terrain travaillant pour les grands quotidiens et qui, à sa façon, suivant les caractéristiques culturelles de son pays, rapporte auprès des lecteurs ce qu’il a pu observer sur le champ de bataille selon les règles d’une supposée objectivité, ou selon des modalités expressives inédites venues d’Outre-Atlantique (les cas d’Hemingway et de Dos Passos sont à cet égard emblématiques), ou encore selon le filtre éprouvé du plus classique “récit de voyage”, qui fait la part belle à la rhétorique, à l’ornementation lexicale et aux longues descriptions pittoresques. Pour comprendre le caractère très spécial du correspondant de guerre issus des régimes autoritaires, on peut rappeler cette phrase de l’un des piliers de la presse sous le fascisme, Telesio Interlandi, qui entend substituer la presse « bourgeoise » (il vise alors le Corriere della Sera) par une presse au service de la révolution fasciste et d’un peuple laissé pour compte vers lequel il s’agira d’aller en adoptant son langage et en l’éduquant afin de former une « nouvelle société » (« nuova società ») : « Avec le fascisme – écrit-il –, de surcroît avec Mussolini, naît un autre type de journal ; le journal d’idées et de bataille, hardi, intrépide, fervent, plein d’intelligence et, pour cette raison même, méprisé par la grande bête publique »[5]. On ne sera pas surpris que, dans ce même article, Interlandi compare la presse fasciste avec la presse soviétique, la citant comme modèle. Aussi, dans l’Italie fasciste (comme par extension en URSS et, a posteriori, dans l’Allemagne nazie), « le Régime veut une presse qui contribue activement à l’éducation et à la “révolution” de l’opinion publique »[6], ce qui l’incite à appeler de ses vœux la création d’une nouvelle école de journalisme sur le modèle d’une « milice » (« milizia ») prompte à soutenir la propagande du régime. Dans ce contexte, on comprend bien le rôle de ces journalistes « soldats » ou « chevaliers » du régime qui non seulement incarnent les valeurs martiales des révolutions en cours (noires, rouges, brunes, ou de quelque couleur que ce soit), mais savent aussi porter par leur verbe les exigences des transformations sociales indiquées par l’État. Dans ce contexte, le correspondant de guerre est plus qu’un simple journaliste : il est à la fois un « militant » zélé et, par son adhésion inconditionnelle au régime, un « intellectuel fonctionnaire » (Mario Isnenghi).
Sur le versant des démocraties libérales, la liberté d’information est certes défendue mais l’on se gardera de négliger l’importance, dans les régimes parlementaires aussi, de la propagande, soit-elle promue au nom des concepts réputés « universels » de liberté-égalité-fraternité ou de la défense des libertés face aux « extrémistes » de tout bord (Malaparte, Technique du coup d’État, 1931). On se souvient de l’écrivain Jean Giraudoux, figure emblématique du pacifisme républicain, dirigeant à l’aube de la Seconde Guerre mondiale le Haut commissariat à l’information et s’évertuant à organiser une propagande et une censure à visage humain, par opposition à celle alors orchestrée par Goebbels en Allemagne. On ne se lassera pas de le répéter : si la figure des correspondants de guerre est un sujet dont se sont emparés les chercheurs italiens et, plus relativement, allemands et espagnols, elle reste assez peu étudiée en France et ailleurs en Europe, en particulier par les historiens. En revanche, les chercheurs en lettres modernes français s’y sont toujours intéressés mais le présent colloque entend approfondir une thématique qui ne saurait se réduire à ses expressions ou à ses conséquences littéraires. On connaît certes les reportages des célébrités, de Pierre Lazareff à Joseph Kessel, Albert Londres, André Malraux, Jacques Audiberti etc., mais il reste à explorer des pans entiers de l’histoire du journalisme de guerre dans L’Humanité, Vu, L’Aurore, Paris-Soir, L’Excelsior, Le Petit Parisien, L’Époque, Le Temps, Le Figaro, Gringoire, Je suis partout, L’Action Française, etc.
Comme le rappelle Myriam Boucharenc dans sa belle étude sur les écrivains-journalistes français de l’entre-deux-guerres, se produit sous la IIIe République un véritable affrontement entre les piliers de la presse dite classique, dont la rédaction est composée essentiellement de journalistes politiques et littéraires, et cette figure émergente qu’est le reporter, en quête de voyages et avide d’investigations sur le terrain. Toutefois, loin d’être éclipsés, écrivains et critiques littéraires réagissent et entrent en concurrence avec cette nouvelle espèce de chroniqueurs-voyageurs allergiques aux salles de rédaction. De fait, « de cette “crise de la presse” qui mettra quelques décennies à se résorber, le reportage sortira “grand” mais hybride, du fait même de son annexion progressive par les milieux littéraires »[7]. Annexion qui explique aussi pourquoi le reportage de guerre a été délaissés par les études historiques au bénéfice des seuls (ou presque) chercheurs en littérature.
Pour toutes ces raisons, le présent colloque assume une dimension pluridisciplinaire et souhaite favoriser un dialogue international entre chercheurs issus de disciplines différentes, en particulier entre historiens et chercheurs en lettres ou civilisation. La période retenue est celle qui se situe entre les deux guerres mondiales, celle des guerres locales, moins visibles, qui sont à la fois des suites et des prolégomènes de deux affrontements majeurs, durant lesquels chaque protagoniste, en fonction de son importance, avance et recule ses pièces. Ces conflits vus comme mineurs paraissent éloignés des grands centres, des pays les plus importants qui un temps se croient à l’abri, avant que le front ne vienne à eux en 1939. Les chercheurs intéressés par ces problématiques inédites trouveront en conclusion de l’appel une liste non exhaustive des principaux théâtres d’opération des années 1918-1939. L’Espagne est un cas particulier, puisqu’elle fournit des correspondants sur les théâtres des conflits tout en en étant le lieu, d’abord au Maroc espagnol de 1908 à 1925, puis en métropole de 1936 à 1939. L’entre-deux-guerres correspond pour ce pays à l’expansion de la presse écrite qui, se modernisant, est demandeuse de reporters et de journalistes. Ensuite, il peut être intéressant d’observer le cas d’écrivains journalistes espagnols partis observer les conflits dans les anciennes colonies (Mexique et Paraguay/Bolivie). Enfin, la Guerre Civile est le conflit qui a le plus suscité de littérature de guerre, sous forme de romans, reportages, chroniques.
Par la profusion même des recherches scientifiques sur l’Espagne entre 1936 et 1938, il s’agira pour les participants de dépasser dans la mesure du possible les acquis scientifiques des dernières décennies, soit en renouvelant les sujets afférant au reportage de guerre (propagande, idéologisation du journalisme, tentation de l’ornementation rhétorique, interprétations biaisées etc.), soit en s’attachant à mettre en lumière des figures mineures ou délaissées de correspondants espagnols et/ou étrangers. Similairement, en France, l’envergure écrasante des grands reporters déjà cités (Kessel, Londres, etc.) a eu tendance à éclipser des figures moins célèbres agissant pour le compte des grands quotidiens et revues, ou de la presse militante ou régionale. Là, aussi, nous invitons les chercheurs à explorer les chemins de traverses de l’histoire, de la politique et de la littérature. Cela vaut pour toute la presse de l’aire latine.
[1] Aporie dont on ne manquera pas de signaler le caractère illusoire et l’instrumentalisation aisée par les pouvoirs publics, comme en témoignent encore aujourd’hui le débat d’importation autour des « fake news » et les menaces pour la liberté d’opinion.
[2] La consultation du (par ailleurs excellent) M. P. Roth, Historical Dictionary of War Journalism, Westport-London, Greenwood Press, 1997, illustre bien cette cristallisation sans doute involontaire sur la sphère anglo-saxonne, les correspondants de guerre européens y étant quasi absents, à l’exception des noms les plus illustres (Malaparte). Par exemple, pour la France, Joseph Kessel ou Albert Londres n’y figurent point.
[3] Les historiens se réapproprient enfin ce thème. Récemment, signalons les recherches historiques de la jeune revue Viaggiatori dirigée par Fabio D’Angelo, ainsi que les récents Actes du colloque Paris Sorbonne : LabEx – Université Savoie Mont Blanc : LLSETI (21 avril 2017) : O. Dard – E. Mattiato – C. Poupault – F. Sallée (ed.), Voyager dans les États autoritaires et totalitaires de l’Europe de l’entre-deux-guerres. Confrontations aux régimes, perceptions des idéologies et comparaisons, Chambéry, Presses de l’Université de Savoie – LLSETI, 2017.
[4] Cela dit, sans restreindre ce principe aux États autoritaires ou totalitaires, les correspondants de guerre ont depuis toujours été plus ou moins volontairement liés ou rattachés aux forces armées, voire contrôlés ou utilisés indirectement par elles à des fins de propagande et/ou de démoralisation de l’ennemi. La pratique de l’embedding remonte… à la guerre de Crimée, et est donc inhérente à la constitution de ce type de journalisme. Cf. J.-C. Sergeant, « Raconter la guerre : traditions et figures du reportage de guerre (1855-1975) », S. Halimi, Les institutions politiques au Royaume-Uni., Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2006, p. 77-95.
[5] Telesio Interlandi, « Giornalismo », Bibliografia Fascista, A. IV, n° 1-2, janvier 1929, p. 19. « Col fascismo, anzi, con Mussolini, sorge un altro tipo di giornale ; il giornale di idee e di battaglia, ardito, spericolato, acceso, carico di intelligenza e perciò appunto inviso alla gran bestia pubblica ».
[6] Ibid., p. 18. « il Regime vuole una stampa che contribuisca attivamente all’educazione e al “rivoluzionamento” dell’opinione pubblica ».
[7] M. Boucharenc, L’écrivain-reporter au cœur des années trente, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2004, p. 17.
 
Lieu Université d'Angers, Amphi Germaine Tillion
Contact , ,
Toutes les infos sur
http://blog.univ-angers.fr/correspondantsdeguerre2019/

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