Tacite et le tacitisme en Europe à l'époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle). Ecriture de l'histoire et conception du pouvoir |
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Tacite et le tacitisme en Europe à l’époque moderne (XVIe- XVIIIe siècle) Ecriture de l’histoire et conception du pouvoir Colloque International organisé par Alicia Oïffer-Bomsel, Maître de conférences en Civilisation de l’Espagne moderne à l’Université de Reims Champagne-Ardenne (CIRLEP, EA4299) et par Alexandra Merle, Professeur de Civilisation et Littérature de l'Espagne moderne à l’Université de Caen-Basse Normandie (ERLIS, EA4254).
Première partie : Université de Reims, 20-21 mars 2014 Deuxième partie : Université de Caen, 2-3 octobre 2014
Comité d’organisation : Alexandra Merle, Alicia Oïffer-Bomsel, Patricia Oudinet - Secrétariat administratif (URCA), Benoît Roux, Assistant-Ingénieur - CIRLEP (URCA-EA4299).
Comité scientifique : Alfredo Alvar Ezquerra, Professeur d’Histoire de l’Espagne moderne, CSIC-Madrid ; Mercedes Blanco, Professeur de Littérature de l’Espagne classique, Université Paris-Sorbonne ; Juan Carlos D’Amico, Professeur de Civilisation italienne, Université de Caen ; Béatrice Guion, Professeur de Littérature française du XVIIe siècle, Université de Strasbourg ; Michel Molin, Professeur d'histoire romaine, Université Paris 13/Paris-Nord PRES Sorbonne-Paris-Cité ; Thomas Nicklas, Professeur en Civilisation germanique-Époque moderne, Université de Reims ; Christine Sukic, Professeur en Littérature et Histoire des idées dans l'Angleterre des XVIe et XVIIe siècles, Université de Reims.
Présentation :
Même si Tacite n’était pas totalement inconnu à l’époque médiévale, la publication à Venise de l’édition princeps de ses œuvres vers 1470 puis, en 1515, la première édition des Annales avec les six premiers livres qui venaient d’être retrouvés, marquèrent le début d’un véritable engouement pour l’historien romain, sa manière d’écrire l’histoire et, plus largement, ses enseignements. Dans toute l’Europe se multiplièrent les éditions de son œuvre, les traductions, puis les commentaires critiques et les traités politiques qui, sous des formes diverses, prétendaient s’inspirer des leçons de Tacite, donnant naissance à ce que l’on devait nommer le « tacitisme ». Or, si parmi les personnages qui jouèrent un rôle éminent dans la diffusion et l’utilisation des œuvres de Tacite et en particulier des Annales, se distinguent aussi bien le Français Muret ou le Flamand Juste Lipse (éditeur de l’œuvre de l’historien romain à Anvers à partir de 1574), que les Italiens Beroaldo, Alciato ou Ammirato, il apparaît que ce processus de diffusion, malgré son caractère général, ne suivit pas le même rythme partout en Europe et n’adopta pas le même cheminement. Un décalage chronologique est sensible en ce qui concerne les premières traductions dans les différentes langues vernaculaires, qui furent produites à des époques très variées[1]. Ainsi, en Espagne, c’est en 1613 seulement que fut publiée la première traduction des Annales (la première édition en latin étant celle de Juan Alfonso de Lancina, en 1687), ce qui ne signifie pas, comme l’a bien montré Beatriz Antón Martínez[2], que l’Espagne ait vécu auparavant dans l’ignorance des œuvres de Tacite mais témoigne d’un mode d’appropriation différent, par des circuits et des médiations propres. On peut s’interroger non seulement sur les origines mais aussi sur l’évolution de la lecture de Tacite dans toute l’Europe, sur la durée et les fluctuations d’un intérêt qui a pu être variable. Plusieurs études enregistrent en effet une certaine lassitude ou un déclin de l’admiration pour l’œuvre de Tacite dans la seconde moitié du XVIIe siècle et même dès les années 1620 en France[3], tandis que l’on signale d’autre part la vigueur du débat qui, dans l’Angleterre de la seconde moitié du XVIIe siècle par exemple, porte sur la valeur de l’œuvre de l’historien et même sur la pertinence de ses analyses et de ses déductions[4]. Enfin, sur l’appréciation que les penseurs des Lumières firent de Tacite – on sait que l’intérêt pour son œuvre demeure vivace au XVIIIe siècle grâce au labeur des encyclopédistes et des philosophes, et que Giambattista Vico par exemple a fait l’éloge de sa lucidité[5] -, nous disposons aussi d’études récentes qui ont permis de formuler d’audacieuses théories sur la portée et l’impact de l’esprit critique développé dans l’historiographie jusqu’aux Lumières[6].
Les connaissances sur la pénétration de Tacite, sur l’utilisation de sa méthode historiographique, sur le développement et les nuances du « tacitisme » politique, ou encore sur l’imitation du style de Tacite dans les œuvres historiographiques, qui reposent sur des travaux éminents et nombreux, ont été affinées et renouvelées ces dernières années grâce à de nouvelles recherches, qui ont permis aussi d’étendre le champ littéraire dans lequel est perceptible une influence de Tacite – plusieurs études achevées ou en cours portent sur le tacitisme dans l’œuvre théâtrale des grands dramaturges européens. Il nous a semblé opportun de donner à cette mise à jour des connaissances une plus grande ampleur grâce à un programme de recherche international au sein duquel les spécialistes de plusieurs disciplines et de différents domaines culturels européens pourront croiser leurs méthodes et confronter leurs découvertes récentes. Ce travail commun sera mené en deux colloques organisés respectivement à Reims (Université de Champagne) les 20 et 21 mars 2014 et à Caen (Université de Normandie) les 2 et 3 octobre 2014. Colloque de Reims, 20-21 mars 2014 La méthode tacitéenne : sa contribution au progrès de l’historiographie à l’époque moderne et ses limites Après avoir relevé des faits significatifs survenus dans la vie de ses contemporains, Tacite s’attelle à l’étude des tendances mentales et des comportements qui semblent caractériser la nature humaine, pour enfin tenter de déceler les causes des actions des hommes. C’est en passant de la causalité particulière à la causalité générale que Tacite conférerait à son récit historique une rigueur scientifique. Cette démarche implique l’analyse des données de l’expérience depuis une position d’indépendance vis-à-vis de toute croyance et de toute autorité préétablies. C’est ainsi que l’autonomie et la liberté de l’analyste devant son objet d’étude –réalités sociopolitiques, structures de pouvoir– s’imposent comme critère principal dans la définition du rôle de l’historien selon Tacite. Si ces procédés d’investigation ont suscité un vif mouvement d’adhésion chez les modernes, ils ont été remis en cause dans la seconde moitié du XVIIe siècle. À l’origine de ce contre-courant se trouverait l’abandon de la conception circulaire du temps propre aux Anciens. Chez les historiographes gréco-romains, c’est justement en vertu du principe de l’éternel retour que l’identification des causes permet d’anticiper sur l’avenir et de prévoir des mesures capables d’infléchir le cours des événements. Aussi la conception cyclique du temps entraîne-t-elle la signification et la fonction d’exemplarité attribuées aux êtres et aux événements du passé. Cette construction mentale si chère aux humanistes commence à s’effriter dès le XVIe siècle, à cause d’une nouvelle façon d’appréhender le temps, qui implique le « sentiment de l’irréductible singularité de chaque moment de l’histoire »[7], si bien qu’« on fait valoir, après Montaigne, la part de contingence qui entre dans toute action et qui empêche la répétition à l’identique d’un même événement »[8]. Cela amène à se demander si un tel scepticisme quant à l’infaillibilité du savoir historique et la valeur atemporelle des enseignements que l’on peut en déduire préfigure en quelque sorte la position de Schopenhauer pour qui l’histoire, du fait qu’elle est une « connaissance de l’individuel », n’est pas une science mais un savoir[9]. Dans cette ligne de pensée, Paul Veyne soutiendra à son tour le caractère non scientifique de l’histoire en invoquant la contingence de la causalité historique (Comment on écrit l’histoire).
Quel style pour écrire l’histoire ?
Que Tacite soit l’artisan d’une science authentique ou, à plus proprement parler, d’un savoir pratique, il s’efforce d’élever l’œuvre historique à un degré de dignité dont la preuve la plus tangible serait sa faculté de contribuer au perfectionnement individuel et collectif. Pour ce faire, l’historien doit accompagner sa démarche méthodologique d’une utilisation précise de l’outil linguistique. Dans Le Dialogue des orateurs, en ce qui concerne le bon ou le mauvais usage de la parole, Tacite déplore l’état de dégradation auquel a été réduit sous l’Empire le discours oratoire du fait que la parole, asservie désormais aux passions et aux intérêts privés, a été détournée de sa mission première : exprimer le vrai et la vertu. Comme Aristote et Cicéron, Tacite souligne la nécessaire alliance entre la sagesse philosophique et la parole créatrice. C’est sans doute par ce principe que l’auteur se laisse guider lorsqu’il écrit l’histoire. À la fin du XVIe siècle, Juan de Mariana énonce ce qui constitue à ses yeux les principaux traits distinctifs du style de l’historien latin : « La diction de Tacite est rude et épineuse, mais nerveuse, et pleine de sens. Sous ses paroles est caché un grand trésor de choses, j’entends les maximes des Princes, avec les intrigues et les fourberies de la Cour. Nous pouvons voir comme dans un miroir, l’image de nos propres affaires, sous la figure des aventures qu’ont eues les autres »[10]. Une diction rude et épineuse… on peut rattacher une telle affirmation à cet atticisme typiquement tacitéen qui, d’après Marc Fumaroli, implique un « sentiment du temps tragique, lié à la hantise de la décadence et de la corruption »[11]. Mais on peut avancer outre cela que la concision comme propriété dominante dans l’écriture tacitéenne, qui se révèle pleinement à travers la forme gnomique ou la formule aphoristique, est indissociable du caractère scientifique dont Tacite s’efforce de doter ses explications historiques, lesquelles résultent de l’application d’une méthode expérimentale. C’est dans un bref aphorisme qu’Hippocrate, pionnier dans l’usage de ce type de formulation, résume le fonctionnement propre à l’induction, une démarche qui est au cœur de la science moderne : « Tout art doit son origine aux résultats de l’observation de chaque phénomène, médités et réduits à des principaux généraux »[12]. Cette première rencontre visera à examiner l’influence de la propagation de l’œuvre de Tacite en Europe sur l’évolution de la conception de l’histoire et sur celle de l’historiographie elle-même, qu’il s’agisse de son contenu ou de ses aspects formels. On s’intéressera ainsi aux mouvements d’adhésion et de rejet suscités par Tacite en tant qu’historien de la fin du Moyen Âge au siècle des Lumières, aux arguments déployés en sa faveur ou contre lui, à l’impact de son œuvre sur la méthode et le style des œuvres historiographiques et d’autres types d’écrits qui prennent pour objet l’histoire, et enfin aux conséquences que purent avoir ces évolutions. Colloque de Caen, 2-3 octobre 2014 De l’histoire maîtresse de l’art de gouverner au(x) tacitisme(s) D’après des études désormais classiques (notamment celles d’A. Momigliano[13], puis de J.A. Fernández-Santamaría[14]), c’est à partir de 1580 que commence une lecture politique de Tacite, donnant lieu à un « tacitisme » le plus souvent examiné dans ses rapports avec le « machiavélisme » - que l’on pourrait définir comme une interprétation ou une reconstruction de la pensée de Machiavel -, et étroitement associé à la notion émergente de raison d’État, à laquelle Giovanni Botero donna une ample diffusion en 1589, à la valorisation de la dissimulation, du secret et d’une prudence vue comme la pièce maîtresse de l’art de gouverner. Cette nouvelle orientation de la perception de Tacite est liée à la publication de divers commentaires historico-politiques ou de recueils d’aphorismes (dont ceux de Scipione Ammirato, Scotus, Paschal ou encore les Aforismos al Tácito español de Baltasar Álamos de Barrientos) mais est également perceptible dans un nombre considérable de traités et dissertations sur l’art de gouverner qui se multiplient au XVIIe siècle, voire dans des écrits d’une autre nature. Outre que l’on a pu remettre en cause - comme l’a fait Beatriz Antón Martínez notamment - ce découpage chronologique peut-être trop net, il ne semble pas inutile de revenir sur les circonstances exactes dans lesquelles a commencé l’articulation entre Machiavel et Tacite, et d’examiner également les rapports tissés entre ce dernier et d’autres éminents auteurs de l’Antiquité qui ont été perçus et employés dans la littérature politique à l’aune de Tacite et de l’enseignement qui lui était imputé. Une telle étude devra être menée dans diverses littératures européennes. De la même façon, il importe de savoir si les nuances signalées à plusieurs reprises dans le cas de la pensée espagnole entre adhésion pleine et entière, acceptation par défaut ou rejet sont acceptables dans d’autres littératures politiques, de préciser les chronologies de ces mouvements d’adhésion ou de refus, et de s’interroger sur le contenu même du « tacitisme » dans ces diverses littératures. Ainsi, les rapports entre les écrits « tacitistes » et la définition de la prudence devront-ils être particulièrement examinés. On sait que, compte tenu de l’objectif pratique premier visé par l’enseignement de l’histoire d’après Tacite (aider le prince à exercer avec efficacité le pouvoir et ses sujets à apprendre à se mouvoir dans une société politique organisée, quand bien même ils devraient vivre sous un mauvais gouvernement), la finalité ultime du savoir historique est l’acquisition de cette sagesse pratique qu’est la prudence. Bien que Tacite prône aussi la revivification d’autres qualités qui contribuèrent jadis à la grandeur et à la libertas du peuple romain (la constance et la tempérance, le courage et le respect des lois), il semble que son nom soit surtout relié à la valorisation d’une prudence faite de secret et de dissimulation. Sans doute peut-on apporter sur ce point des nuances. De fait, plusieurs travaux sont venus remettre en cause la définition de ce « tacitisme » dont André Stegmann récusait déjà l’unicité, remarquant qu’il y a en fait plusieurs tacitismes différents au point d’être irréconciliables[15]. « Your Tacitism, or mine ? ». Cette interrogation qui est au centre d’une étude récemment publiée nous paraît devoir être reprise et amplifiée[16]. En dernier lieu, on pourra s’intéresser au rapport existant entre la vogue des conseils adossés à une lecture politique de Tacite et l’art de gouverner prêté aux monarques de leur vivant ou attaché à leur réputation dans les mémoires. Parmi les figures les plus importantes de l’époque moderne, Philippe II, le roi « Prudent », se trouve fréquemment caractérisé par cet art de l’impénétrabilité et de la préservation du secret, voire de la duplicité, que l’on évoque volontiers en songeant à Tacite. Sans doute quelques monarques et certains Etats se prêtent-ils plus aisément que d’autres à être considérés comme l’incarnation d’un ou du tacitisme.
Les communications seront faites de préférence en français sans que ce critère soit exclusif ; en effet, des interventions en espagnol, italien, allemand et anglais pourront être acceptées, et feront l’objet d’une publication en français (traduction à la charge des communicants), après avis favorable du comité scientifique.
Les propositions de communication, d’une quinzaine de lignes, accompagnées d’un bref Curriculum Vitae, sont à envoyer à Alicia Oïffer-Bomsel et à Alexandra Merle, avant le 15 juillet 2013.
L'acceptation des propositions, après examen par le comité scientifique, sera signifiée au plus tard le 15 septembre 2013.
Modalités d’inscription Colloque à l’Université de Reims : http:// www.univ-reims.fr/CIRLEP Colloque à l’Université de Caen : http://www.unicaen.fr/recherche/mrsh/erlis/manifestations/colloque
[1] Voir la thèse de S. Martínez Bermejo, Tácito leido. Prácticas lectoras y fundamentos intelectuales de la recepción de Tácito en la Edad moderna, Universidad Autónoma de Madrid, 2009 (publiée en anglais sous le titre : Translating Tacitus : the reception of Tacitus’works in the vernacular languages of Europe, 16th-17th, 2010). [2] Beatriz Antón Martínez, El Tacitismo en el siglo XVII en España. El proceso de receptio, Universidad de Valladolid, 1992. [3] Voir Béatrice Guion, Du bon usage de l’histoire. Histoire, morale et politique à l’âge classique, Paris, Honoré Champion, 2008. [4] Parmi les travaux récents sur cette question, nous pensons par exemple à Charles Edouard Levillain, « Les simulacres de la liberté ? Le rôle du tacitisme dans les débats politiques de la fin du XVIIe siècle (1696-1699) », Bulletin de la Société d’Etudes anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles, année 2005, vol. 60, n° 1, p. 143-154. [5] « Jusqu’alors Vico avait admiré deux seuls auteurs par-dessus tous les autres, à savoir Platon et Tacite. Tacite avec un esprit métaphysique incomparable, contemple l’homme tel qu’il est ; Platon tel qu’il doit être », Vie de Giambattista Vico écrite par lui-même, Paris, Éditions Allia, 2004, p. 70. [6] Voir Jacob Soll, Publishing The Prince. History, reading and the Birth of Political Criticism, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2005. [7] Béatrice Guion, Du bon usage de l’histoire. Histoire, morale et politique à l’âge classique, Paris, Honoré Champion, 2008, p. 157. [8] Ibid., p. 433. [9] Pietro Piovani (version française par Eric Merlotti), Philosophie et histoire des idées, Genève, Droz, 1972, p. 35. [10] Abraham Nicolas Amelot de la Houssaie, Tacite: avec des notes politiques et historiques. Première Partie contenant les six premiers livres de ses Annales, Paris, Chez Jean Boudot, 1690, f. xxi. [11] Marc Fumaroli, L’Âge de l’éloquence, Genève, Droz, 2002, p. XIV. [12] J.-E. Dezeimeris, Dictionnaire historique de la médecine ancienne et moderne. Tome III, Paris, Chez Béchet Jeune, Libraire, 1836, p. 140. [13] « The First Political Commentary on Tacitus », Journal of Roman Studies, XXXVII (1947), p. 91-101. [14] Voir Razón de Estado y política en el pensamiento español del barroco (1595-1640), Madrid, Centro de Estudios Constitucionales, 1986. [15] « Le Tacitisme : programme pour un nouvel essai de définition », Il Pensiero Politico, 2, n° 3, 1969, p. 445-558. [16] Voir Jan Waszink, « Your Tacitism or mine ? Modern and early modern conceptions of Tacitus and Tacitism », History of European Ideas, vol. 34, issue 4, dec 2010, p. 375-385.
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