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Rencontres franco-colombiennes – Troisième édition

Crise et créativité à l’époque contemporaine : regards croisés France / Colombie

28 et 29 mars 2018

Interactions culturelles et discursives

Université François-Rabelais – Tours

Loin de certaines représentations établies, l’expérience de la crise n’a pas nécessairement une signification univoque et « négative ». Des crises profondes et généralisées —comme celles qui affectent de nos jours l’économie et l’environnement, par exemple— peuvent certainement entraîner la souffrance et la mort pour les humains et le vivant, mais sont également porteuses d’un message (« quelque chose ne peut plus continuer comme avant ») et d’un appel à faire un choix ou à décider (krinein) de possibilités nouvelles. Dans ses multiples formes (politique et culturelle, économique et environnementale…) qui affectent les régimes de vérité établis (le normatif éthique, épistémologique, esthétique, etc.), la crise désormais mondiale dit toujours l’urgence de la création ou de l’ouverture à de possibles nouveaux. Imaginer de nouvelles formes économiques, inventer de nouvelles formes de socialité et de nouveaux rapports avec la nature, mettre en place de nouveaux systèmes de participation politique, faire advenir des langages et des modes d’expression inédits, sont quelques-uns des lieux où se vérifie l’étroite relation qui relie la crise et la création.


Or, comme le souligne Edgar Morin, la crise est ambivalente par essence :

"Le caractère incertain et le caractère ambigu de la crise font que son issue est incertaine. Comme la crise voit le surgissement conjoint des forces de désintégration et de régénération (de “mort” et de “vie”), comme elle met en œuvre des processus “sains” (la recherche, la stratégie, l’invention) et “pathologiques” (le mythe, la magie, le rite), comme à la fois elle éveille et endort, la crise peut avoir une issue régressive ou progressive. […] Dans les sociétés historiques, il est fréquent qu’une crise trouve une solution à la fois progressive et régressive, selon les niveaux : des progrès économiques peuvent correspondre à des régressions politiques, et vice versa" [i]

Si l’issue de la crise est imprévisible, il convient alors de s’interroger sur les mécanismes ou les conditions — socio-économiques, politiques, psychologiques, etc. — qui stimulent la création et permettent à une situation de crise de générer des alternatives, plutôt que de donner lieu à une régression, que celle-ci soit politique, économique, sociale ou culturelle. Dans le domaine socio-économique, par exemple, la crise peut tout aussi bien être « démobilisante pour ceux qui la subissent. La menace du chômage et de la perte du pouvoir d’achat incite l’acteur social à la prudence ou elle le condamne à l’inactivité ou à l’impuissance[ii]. » : dans ce contexte, comment stimuler la créativité et l’invention de possibles ? Comment mobiliser les acteurs sociaux que « le discours sur la crise encourage à attendre passivement la fin des difficultés[iii] » ?

De même, sur le plan politique, les récentes expériences d’alternatives aux partis traditionnels, tels que, entre autres, le mouvement « Nuit Debout » en France, posent la question des conditions de possibilité d’un redécoupage effectif du spectre politique. En quoi la supposée « crise des partis » peut-elle réellement conduire à de nouvelles formes de représentativité et à la création de mouvements dits « transpartisans » ? Comment distinguer la création d’alternatives de la simple reconfiguration de façade de structures existantes ? Comment mobiliser des sujets politiques que la conscience d’une crise profonde a rendus sceptiques à toute proposition, fût-elle novatrice ? D’autre part, le succès du concept de crise dans les discours mérite également d’être interrogé, tant le terme apparaît comme galvaudé : on parle ainsi de « crise économique », de « crise migratoire », de « crise politique », mais aussi de « crise de civilisation », de « crise des valeurs », voire de « crise d’adolescence » ou « de la quarantaine ». Ainsi, pour Edgar Morin, « ce terme diagnostic a perdu toute vertu explicative[iv]. » Cette perte de sens corrélative à une excessive diffusion peut même avoir des conséquences néfastes en termes de créativité, la crise pouvant servir d’ « épouvantail que l’on agite pour éloigner les revendications sociales[v]. » A titre d’exemple, on peut penser aux politiques d’austérité censées répondre à « La » crise, mais ne remettant en cause ni le système apparemment défaillant ni les mécanismes responsables de la faillite de ce système. D’ailleurs, des voix s’élèvent pour critiquer cette instrumentalisation du concept de crise à des fins de maintien du statu quo, à l’instar du web documentaire espagnol précisément intitulé No es una crisis, produit en 2013 à la suite du mouvement des Indignés dont il reprend un des slogans : « No es una crisis, es el sistema ».

Une analyse similaire peut être faite en ce qui concerne la notion de « post-vérité » qui semble suggérer une « crise des valeurs », laquelle serait responsable de la démobilisation politique voire de l’ « extrême-droitisation » des classes populaires. Cette notion, très médiatisée notamment après l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, est cependant tout à fait discutable, tant le conflit entre vérité et politique est une constante dans l’histoire ; c’est même le propre de la vérité, comme nous le rappelle Hannah Arendt, que d’être en contradiction avec la politique :

la vérité de fait, comme toute autre vérité, exige péremptoirement d’être reconnue et refuse la discussion alors que la discussion constitue l’essence même de la politique. Les modes de pensée et de communication qui ont affaire avec la vérité, si on les considère dans la perspective politique, sont nécessairement tyranniques ; ils ne tiennent pas compte des opinions d’autrui, alors que cette prise en compte est le signe de toute pensée strictement politique.[vi]

On peut ainsi se demander dans quelle mesure le concept de crise sous-jacent à l’idée de « post-vérité » ne sert pas finalement de paravent pour bloquer une analyse plus fine de la situation et, par conséquent, pour paralyser toute liberté et tout effort d’invention. En ce sens, la crise ne serait plus un facteur de créativité mais un puissant agent de conservation, voire de conservatisme — on pense entre autres à l’utilisation de l’expression « crise de la masculinité » par les mouvements antiféministes et masculinistes pour remettre en cause les droits et les acquis sociaux des femmes. A l’inverse, la prétendue « théorie du genre », très prisée des secteurs conservateurs opposés à l’avancée des droits des femmes et des minorités, peut être invoquée, dans d’autres contextes, pour s’opposer à une sortie de crise, comme cela a été par exemple le cas en Colombie lors du référendum sur les accords de paix en 2016[vii]. Il semble donc indispensable de réfléchir à l’importance du contexte discursif dans lequel le concept de crise est convoqué, puisque ce contexte détermine en partie la relation plus ou moins étroite qui s’instaure entre crise et création.

En se situant dans le champ d’études sur les rapports entre culture et société, et en s’appuyant sur les ressources des études culturelles, des études littéraires, des études iconographiques et cinématographiques et de la critique artistique, les Troisièmes Rencontres franco-colombiennes s’attacheront à identifier, décrire et analyser les mécanismes – politiques, sociaux, etc. – ainsi que la production culturelle française et/ou colombienne qui interrogent, dans ses multiples dimensions et dans ses potentialités créatrices, la crise contemporaine et mondiale.

Les propositions de communication, sous forme d’un titre, d’un résumé d’environ 200 mots et d’une brève notice bio-bibliographique, devront parvenir avant le 1er novembre 2017 aux deux adresses suivantes : et

Seules seront examinées les propositions correspondant à la thématique du colloque.

[i] Edgar Morin, « Pour une crisologie », in Communications, La notion de crise, no25, 1976, p. 161.
[ii] Andràs November, « Artefact et développement », in Crise et chuchotement. Interrogations sur la pertinence d’un concept dominant, Genève : Graduate Institute Publications, 1984, p. 60.
[iii] François Partant, « Une “économie-monde” en question », in Crise et chuchotement, op. cit., p. 35.
[iv] Edgar Morin, art. cit., p. 163.
[v] “Avant-propos”, in Crise et chuchotement, op. cit., p. 5.
[vi] Hannah Arendt, La crise de la culture, [Paris] : Gallimard, 1972, p. 307.
[vii]http://www.semana.com/nacion/articulo/ideologia-de-genero-una-estrategia-para-ganar-adeptos-por-el-no-al-plebiscito/4882
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Lieu Université François Rabelais de Tours
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