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Colloque Relecture des empires ibériques : Espagne, Portugal, Amérique de 1890 à nos jours
Angers, 3-4 avril 2025
Date limite de soumission des propositions : 30 novembre 2024
AAC, bibliographie, axes de travail sur https://blog.univ-angers.fr/empires/
 
Organisation : Christophe Araujo, Yves Léonard, Manuelle Peloille, Matthieu Trouvé
3L.AM-Université d'Angers /Centre Emile Durkheim-Sciences Po Bordeaux, CNRS, U. Bordeaux Montaigne/Université de Nanterre/Société Française d'Histoire Politique
 
Appel à contributions : Cadrage
Depuis l’effondrement du bloc communiste, les empires, que l’histoire semble avoir enterrés, reviennent sur le devant de la scène : la revendication de l’empire russe ressurgit des cendres de l’URSS, tandis que les États-Unis, faute d’adversaire à leur mesure, réaffirment leur volonté de domination universelle à partir de l’invasion du Koweit en 1990[1]. Mais depuis, la suprématie états-unienne n’a cessé d’être remise en cause par d’autres puissances qui aspirent à créer à l’établissement d’un monde multipolaire.
La péninsule Ibérique est concernée par le retour de la question impériale, aussi bien au regard de son histoire que dans le temps présent. Il convient aussi de prendre acte, à partir de ces années, de la puissance d’une partie des anciennes colonies (comme le Brésil, membre des BRICS), ce qui oblige à abandonner la perspective binaire métropoles-anciennes colonies.
L’Espagne, puissance moyenne à la fin du xxe siècle, devient au début des années 2000 le second investisseur dans ses anciennes possessions d’Amérique, derrière les États-Unis, qui lui avaient ravi sa dernière colonie en 1898. Le Portugal, pour sa part, tente de maintenir des liens à la fois culturels mais surtout économiques et politiques au sein de la structure des Pays africains de langue officielle portugaise (PALOP), derniers vestiges de son empire déchu.

L’empire structure à la fois l’histoire de la péninsule mais aussi l’histoire des puissances ibériques. Ainsi, après avoir fait partie intégrante des empires romain et omeyyade, elle fut à plusieurs égards empire : parce qu’Alphonse vi, à l’apogée du Royaume de León, voulut se poser en surplomb des autres royaumes de la Reconquête, il se désigna « Empereur par-dessus toutes les nations d’Espagne » ; parce qu’elle fit partie à partir de 1516 les territoires de l’Empire de Charles Quint puis intégra en 1580 le Portugal et ses possessions coloniales ; parce qu’elle fut le centre d’un immense espace discontinu de religion catholique et de langue castillane, « compagne de l’empire » dans les mots du grammairien Antonio de Nebrija, suivant une logique de domination des autres langues péninsulaires. Empire dont la base métropolitaine, fermement assise par Isabelle la Catholique en dépit de sa nature composite, s’est affaiblie par la suite jusqu’au Désastre de la perte de Cuba et des Philippines en 1898. Empire portugais enfin, dont les premières bases sont lancées en 1415 par la conquête de Ceuta et dont l’appropriation et l’exploitation des territoires sur la route de l’Inde fut croissante jusqu’au début du processus de décolonisation amorcé après le 25 avril 1974.
L’espace ibérique a été profondément marqué par la disparition des empires, avec des temporalités différentes. L’effondrement des Empires coloniaux espagnol et portugais, révèle combien la constitution même de la nation en Espagne et au Portugal, dépendait de leurs possessions extra-métropolitaines. Il a obligé les deux puissances à se recentrer sur l’espace européen, ce qui a pris en Espagne la forme d’une politique colbertiste jusqu’au milieu du franquisme, couronnée d’un succès inégal mais réel. Tandis que l’Espagne de Juan Carlos maintenait sa volonté de conserver les liens avec les anciennes colonies, le Portugal démocratique se caractérise par un oubli presque instantané de l’existence de l’empire, même si certains ne se sont pas résolus à la perte d’une projection impériale.
Pour le cas espagnol, le discours politique au xxe siècle révèle que ses dirigeants n’ont laissé de vouloir retrouver une influence sur les territoires perdus, d’abord culturelle faute de moyens et de capitaux[2], puis économique au fur et à mesure de l’accroissement de sa richesse[3]. Le franquisme est guidé par la volonté de revivre le glorieux empire, à la fois sur toutes les nations d’Espagne, contre les nouveaux infidèles que sont les « rouges » et sur le monde, par la diffusion de la culture espagnole et de la religion catholique, résumée dans l’expression « communauté de destin dans l’universel » de la Phalange. Mais la volonté de faire revivre l’empire prend d’autres formes que l’Hispanité franquiste. D’abord, elle coïncide avec son effondrement définitif, puisque dès la fin du xixe siècle se développe l’idée de la raza, communauté culturelle, spirituelle, religieuse. Ensuite, elle lui survit, sous la forme de « pouvoir mou », allégée de la composante religieuse, visible dans les discours royaux de la démocratie. Mais l’affaire est complexe, à deux égards : il faut prendre en compte les développements de cette idée de raza en Amérique, où elle fut largement promue au début du xxe siècle[4]. Il convient pareillement de considérer la promotion de l’idée d’empire en Catalogne, et pas seulement dans le centre madrilène[5]. Par ailleurs, depuis 1898, les velléités de revival se heurtent à la formation de grandes puissances régionales parmi ces anciennes colonies indépendantes, comme le Brésil ou le Mexique, parallèle à l’instrumentation croissante de l’héritage des empires préhispaniques, inca et aztèque notamment.
Dans le cas portugais, l’Empire est au centre de la pensée intellectuelle et de l’attention des pouvoirs portugais successifs au cours des xixe et xxe siècles. L’attachement viscéral à la question impériale montre un pays traumatisé par la perte du Brésil (1822-1825) et qui a tout fait pour que l’histoire ne se répète pas. Ainsi, les dernières décennies de la Monarchie sont marquées par les tensions impériales européennes en Asie et surtout en Afrique, comme lorsque l’Ultimatum de 1890 a failli faire vaciller la vieille alliance avec la couronne britannique. De même, durant la courte période républicaine et encore plus pendant la dictature entre 1926 et 1974, la question impériale structure la pensée du pouvoir jusqu’à entraîner la métropole dans l’engrenage de la guerre coloniale, par ailleurs principal élément menant le régime autoritaire portugais à sa perte. Célébré notamment en 1940 et en 1960, l’Empire est un pilier du régime et le symbole d’un Portugal qui n’entend pas se limiter seulement à la péninsule Ibérique[6]. Par exemple, le lusotropicalisme de Gilberto Freyre est utilisé par le pouvoir afin de caractériser l’exception coloniale portugaise et pour défendre sur la scène internationale une façon singulière de construire un empire, présenté comme exempt de violences et promoteur du métissage[7]. L’aveuglement face aux enjeux du siècle pousse le président du Conseil António de Oliveira Salazar à défendre « orgueilleusement seul » la politique coloniale du pays, en dépit de l’inexorable lutte pour l’indépendance des pays africains.
L’objet de la réflexion porte sur les relectures des empires espagnol et portugais au regard d’un contexte de concurrence entre puissances à visée de domination universelle (USA, Europe, Chine, Oumma…).

[1] C’est ce que remarquent Alexander J. Motyl dans Imperial Ends. The decay, collapse, and revival of Empires (New York, Columbia University Press, 2001) comme Herfried Munkler dans Empires. The logic of world domination from Ancient Rome to the United States (Cambridge, Polity, 2007). Le premier met l’accent sur le resurgissement de l’empire russe, tandis que le second insiste sur la vocation impériale des États-Unis et de l’Europe qui se veut un contrepoids.
[2] Tel fut l’« empire de papier » que décrit Lorenzo Delgado, dans son ouvrage homonyme (Imperio de papel, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 1992).
[3] Le même auteur, dans son ouvrage antérieur, Diplomacia franquista y politica cultural hacia Iberoamérica, 1939-1953 (Madrid, CSIC, 1988), cite les propos du diplomate Alfredo Sánchez Bella, comparant les relations culturelles avec les anciennes colonies à des fiançailles, à concrétiser par des liens économiques.
[4] David Marcilhacy, Raza hispana. Hispanoamerica y lo imaginario nacional en la España de la Restauración, Madrid, Centro de Estudios políticos y constitucionales, 2010.
[5] Enric Ucelay da Cal a consacré un ouvrage complet sur la composante catalane du discours impérial, contre l’avis répandu d’une exclusivité castillane (El imperialismo catalán, Barcelone, Edhasa, 2003). Faute de puissance maritime, la Couronne d’Aragon, dont la Catalogne faisait partie, n’a pu réaliser son empire méditerranéen au xive siècle.
[6] Voir par exemple la place de l’empire dans História de Portugal dirigée par Damião Peres (Damião Peres, (dir.), História de Portugal, Barcelos, Edição Portucalense, 1928 à 1935, 7 volumes), une œuvre monumentale rédigée à la fin des années 1920 et en 1930 mais aussi une œuvre collective centrée sur l’empire et publiée dans le cadre des commémorations de 1940 (António Baião, Hernâni Cidade, Manuel Múrias (dir.), História da Expansão Portuguesa no Mundo, Lisbonne, Editorial Ática, 1937-1940, 3 volumes).
[7] Cláudia Castelo, « O modo português de estar no mundo ». O Lusotropicalismo e a Ideologia colonial portuguesa (1933-1961), Porto, Afrontamento, 1999.
 
Lieu Université d’Angers, 3-4 avril 2025 Maison de la Recherche Germaine Tillion, Amphi Tillion
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