Vendredi 14 octobre 2016
La féminité et l’ « être femme » sont depuis longtemps des objets d’étude pour les sciences sociales, tout comme les représentations des femmes et du féminin dans les productions culturelles (littérature, cinéma, fiction télévisée, musique, etc.). En revanche, les questionnements sur la masculinité et ses représentations sont relativement récents : les premiers travaux sur les hommes, notamment en France, abordaient la masculinité de manière extrêmement spécifique, notamment à travers le prisme de la violence, domestique ou sexuelle (Weltzer-Lang, 1988, 1991). Il a fallu attendre 1995 et l’ouvrage fondateur de Raewyn Connell, Masculinities, pour assister à une première tentative de penser la masculinité contemporaine de la même façon que Simone de Beauvoir avait interrogé la féminité, avec une perspective à la fois générale et multiple, nourrie par les apports de la biologie, de l’anthropologie, de la philosophie et des représentations artistiques. Un rapide tour d’horizon de la bibliographie existant à ce jour sur les hommes et la masculinité permet d’établir une analogie avec la féminité : construction sociale et langagière souvent considérée comme un « donné » allant de soi, biologique, elle fonctionne de manière extrêmement prescriptive et restrictive. Elle est parfois –souvent– assimilée à la « virilité » (Courtine, Corbin), ensemble de caractéristiques et de compétences nécessaires pour faire d’un être de sexe masculin « un homme, un vrai », selon l’expression consacrée.
Il est particulièrement intéressant de réfléchir à la masculinité dans un contexte tel que l’aire hispanique contemporaine, et ce à plus d’un titre. En effet, les sociétés espagnole et hispano-américaines, en tant que sociétés latines, se caractérisent par une organisation patriarcale qui persiste actuellement, à des degrés divers selon les pays et les milieux sociaux. A titre d’exemple, les exhortations à la « virilité » sont constantes dans la culture populaire (sport, publicité, musiques actuelles comme le rap ou le reggaeton), et vont de pair avec un mépris affiché pour ce qui est considéré comme « féminin » et une volonté manifeste de s’en démarquer. L’espagnol emploie largement le terme de feminicidio (féminicide) afin de désigner un type de meurtre dont l’appartenance de la victime au genre féminin constitue le mobile ; « violence de genre » (violencia de género) est également un syntagme couramment employé en Espagne et en Amérique hispanique. C’est de l’espagnol macho (« mâle ») qu’est né le mot « machisme », « Idéologie héritée de la civilisation ibérique et plus spécialement ibéro-américaine, qui prône la suprématie du mâle » (Trésor de la Langue Française Informatisé). Goût pour le sport et la compétition, hétérosexualité, force et honneur sont autant d’attributs qui conforment la « masculinité hégémonique » (Connell, 1995) dans le monde hispanique contemporain.
Ainsi, « on ne naît pas macho, on le devient »… ou pas. Qu’en est-il des « exclus », volontaires ou non, de la masculinité hégémonique contemporaine dans le monde hispanique ? La question est d’autant plus intéressante que la pensée queer s’est exportée avec succès dans l’aire hispanophone, notamment en Espagne, où l’ouvrage fondateur de Judith Butler Gender Trouble a été traduit dès 2001, quatre ans avant la publication de sa traduction française ; on compte parmi les Espagnol-e-s de nombreux penseurs et penseuses du genre, parmi lesquels on peut citer Paul B. Preciado, anciennement Beatriz, disciple de Jacques Derrida.
Il semble légitime de s’interroger sur la manière dont les littératures hispaniques contemporaines donnent à voir la (ou les) masculinité(s). Assiste-t-on à une remise en question du carcan de la « virilité » par les créateurs contemporains ? Existe-t-il une « mystique masculine », et comment est-elle abordée dans la fiction hispanophone actuelle ? Les masculinités marginales, hétérodoxes, « déviantes » par rapport aux représentations normatives seront au centre de notre questionnement : comment les identités, les subjectivités masculines alternatives s’expriment-elles dans les textes hispaniques contemporains ? On s’interrogera sur la littérature comme lieu d’expression de la revendication identitaire générique et sexuelle.
Il importe bien sûr de définir et de circonscrire ce qui constitue la « norme » en matière de masculinité (« masculinité hégémonique », « virilité », hétérocentrisme), en réfléchissant notamment à son exploitation et à sa subversion dans les littératures espagnole et hispano-américaine contemporaine. On peut penser à la critique d’une masculinité univoque et excluante, mais aussi à la manière dont des écrivain-e-s contemporain-e-s détournent les symboles orthodoxes de la virilité. Les jeux sur les signifiants de la masculinité pourront être explorés : songeons par exemple à l’homo-érotisme camouflé sous la représentation d’une virilité exacerbée qui a fini par conformer une esthétique aujourd’hui considérée comme résolument gay.
On se posera aussi la question du sexe de l’écriture : il est d’usage de parler de « littérature féminine », tandis que les textes écrits par des hommes se passent de qualificatif générique. Mais la littérature universelle, « tout court » et la littérature masculine sont-elles assimilables l’une à l’autre ? N’y a-t-il pas dans la création au masculin des questionnements, des enjeux spécifiques, particulièrement lorsqu’on s’aventure hors du terrain balisé de la masculinité normative ? Peut-on parler d’une crise de la masculinité et/ou d’une redéfinition de l’ « être homme » dans les littératures hispaniques contemporaines, d’un élargissement de l’éventail de modelos de hombres proposés par la fiction ?
Date limite pour l’envoi des propositions : 30 juin 2016
Langues des communications : espagnol ou français
Bibliographie
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