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Images et populismes dans les aires romanes contemporaines - revue Atlante Télécharger au format iCal
 
Dossier pour la revue Atlante
 
Coordonnateurs : Virginie Gautier N’Dah-Sékou et Baptiste Lavat  (IMAGER, Université Paris Est-Créteil)
 
Images et populismes dans les aires romanes contemporaines
 
Une simple observation des politiques européennes et américaines de ces dernières décennies permet de constater le retour en force du populisme sous de multiples formes. Le point commun de ces mouvements populistes est l’émergence puis la consolidation d’une figure de leader charismatique supposé incarner le « peuple » ou en défendre les intérêts face à une sorte de bouc émissaire devenu « ennemi » : les étrangers, l’impérialisme nord-américain, les élites politiques et économiques voire intellectuelles, le modèle capitaliste, etc. Si le terme « populisme » possède généralement une connotation négative qui va fréquemment de pair avec une forme de « dénigrement des masses » ou de considération de leur « immaturité » politique, on observe toutefois depuis le début du XXIe siècle une revalorisation de la notion. Pour les tenants d’une critique radicale de la démocratie représentative (Laclau, 2005), le populisme n’a rien d’un dévoiement de la vie démocratique : il serait plutôt une expression politique normale, voire un mécanisme régénérateur de la participation citoyenne.
 
Or, de même que Patrick Charaudeau (2011) a analysé les caractéristiques discursives du populisme, ne peut-on en faire de même pour ce qui est des éléments visuels qui transmettent et appuient le message politique destiné au peuple, ayant vocation à « créer un peuple », à « faire peuple » ? L’une des préoccupations majeures des mouvements ou régimes populistes, particulièrement accentuée à l’ère de la diffusion instantanée des images, pensées et propos, est effectivement la constitution d’une série de symboles identitaires ou de reconnaissance. Qu’ils alimentent le discours politique ou l’illustrent, qu’ils le complètent ou en renforcent la visibilité dans l’espace public, « les savoirs visuels sont d’un grand renfort pour penser les concepts de populisme et de peuple à peu de frais »selon l’expression du sociologue Maxime Boidy (2017, p.64). Les études visuelles sont ici pertinentes à double titre : d’une part parce qu’elles posent la question des relations entre le texte et l’image en termes de rapports de pouvoir ; mais également parce qu’elles invitent à réfléchir aux relations – ou lignes de fractures – entre la visibilité optique (naturelle) et la visibilité socio-politique (culturelle).
 
Les mouvements et régimes populistes ont toujours eu recours à des représentations visuelles pour asseoir leur idéologie et leur pouvoir ou pour en élargir la portée, qu’il s’agisse des représentations de « la gente corriente » en opposition à la « casta » dans les spots de campagne de Podemos ou à celles de « los mismos de siempre » (Rafael Correa, Evo Morales), ou encore de l’imagerie politique créée autour de certains leaders populistes actuels, en particulier sur les réseaux sociaux. En Italie, le MoVimento 5 Stelle ne doit pas être vu uniquement comme une formation politique, mais bien comme l’émanation à la fois du blog du comique Beppe Grillo et de l’agence de marketing Casaleggio Associati : on comprend dès lors que l’image médiatique y joue un rôle fondamental.
 
Si Donald Trump a fait de Twitter l’un des principaux outils de sa communication de « rupture » avec des formes plus traditionnelles jugées déconnectées des « masses », nombre de chefs d’État latino-américains ou européens ont su faire de même et contourner les médias traditionnels, à l’instar d’un Jair Bolsonaro dont la construction de l’image online est par ailleurs activement travaillée par ses fils sur la toile, ou encore d’un Nayib Bukele au Salvador qui a lui aussi su faire des réseaux sociaux l’un des piliers de sa communication, à contre-courant des formats médiatiques classiques, touchant ainsi un public large et parfois même inscrit dans un rejet catégorique de toute approche politique. 
 
La traditionnelle politique par le discours semble avoir laissé place à une politique par l’image s’adressant directement au peuple : à travers les réseaux sociaux, la photographie, les films et reportages télévisés, femmes et hommes politiques se montrent et se mettent en scène (et en images) devant les citoyens, souvent plus qu’ils ne délibèrent devant les représentants du peuple. Ce faisant, ils accentuent le pouvoir politique du regard, celui que le peuple porte sur ses dirigeants, un regard qui contrôle et surveille leur comportement (Green, The Eyes of The People, 2010). Une situation dans laquelle les médias jouent un rôle essentiel, « en symbiose intime » avec les dispositifs populistes, au point de constituer, pour Yves Citton (2015), un véritable « régime médiarchique ».
 
Le populisme articule une pluralité de demandes socio-politiques, mais il fonctionne selon une logique de simplification, qui induit également une puissante composante émotionnelle ; le politologue Arias Maldonado le rappelle lorsqu’il caractérise le populisme comme « la construction d’un peuple comme sujet politique à travers un leadership charismatique et une stratégie de communication principalement basée sur des contenus émotionnels »[1](2016, p. 127). On s’interrogera donc sur la capacité des images à rendre compte de cette puissance émotionnelle du populisme. 
 
Mais le populisme n’est pas une catégorie exclusivement politique, il traverse également les champs de la connaissance et du savoir tout en les renouvelant : « le populisme du savoir peut être défini de prime abord comme l’expression d’une demande démocratique dans les sciences ou contre l’autorité dont elles se prévalent » (Jeanpierre, 2012, p. 154). Ce « populisme du savoir » ne se définit pas tant par rapport à la nature des objets étudiés, mais surtout par une posture épistémologique renouvelée. On considérera ainsi les produits des arts visuels (arts plastiques, photographie, cinéma…) au-delà des seules valeurs esthétiques imposées par des normes, des canons de beauté, mais également les images produites et diffusées par les médias et les réseaux sociaux, la publicité et le marketing, la mode, ou encore dans le champ scientifique. 
 
Les propositions d’articles pourront s’inscrire dans les thématiques suivantes (dont la liste n’est pas exhaustive) appliquées aux aires hispanophones, lusophones et italianophones du XXIe siècle :
- imagerie politique des mouvements populistes et stratégies de communication : qualités du chef, formes de « représentation/incarnation » du peuple, outils de mobilisation
- genre et représentations visuelles : masculinité du leader, féminisation de la nation, populisme paternaliste…
- populisme et/ou démagogie : différences d’approche et de perception 
- manipulation des images, réécriture de l’histoire et « storytelling », et « scepticisme visuel » qui en découle parfois
- imagerie populiste et composante émotionnelle, ethos et pathos dans la communication visuelle
- critique du populisme par l’image, par exemple dans le dessin de presse, le street art et les graffitis, les films et séries, etc.
- l’image comme expression d’une demande démocratique contre les « savoirs dominants » ou les cultures dites savantes
- « peoplisation » : mise en scène et glissement du « populaire » au « people » 
 
[1] « la apuesta [del populismo] por construir un pueblo como sujeto político por medio de un liderazgo carismático y una estrategia comunicativa asentada abiertamente en contenidos emocionales ».
 
 
Bibliographie indicative
 
ARIAS MALDONADO Manuel, La democracia sentimental. Política y emociones en el siglo XXI, Barcelona, Página Indómita, 2016.
BADIOU Alain, BOURDIEU Pierre, BUTLER Judith, KHIARI Sadri, RANCIERE Jacques, DIDI-HUBERMAN Georges, Qu'est-ce qu'un peuple ?, Paris, La Fabrique, 2013.
BOIDY Maxime, Les études visuelles, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2017.
BOIDY Maxime, « “I Hate Visual Culture” », Revue d’anthropologie des connaissances, 2017, n° 11/3, disponible en: http://journals.openedition.org/rac/1867 [última consulta: 07/04/2022]
CHARAUDEAU Patrick, « Réflexions pour l’analyse du discours populiste », Mots. Les langages du politique, 2011, n°97, disponible en http://journals.openedition.org/mots/20534 [última consulta: 13/04/2022].
CITTON Yves, « Dispositifs populistes et régimes médiarchiques : neuf hippothèses », Multitudes, 2015/4, n° 61, p. 88-94, disponible en: https://www.cairn.info/revue-multitudes-2015-4-page-88.htm [última consulta: 07/04/2022].
« Cultures populaires. Populismes et émancipation sociale », Mouvements, n°57, 2009/1.
DIDI-HUBERMAN Georges, Peuples exposés, peuples figurants (L’Œil de l’Histoire 4), Paris, Les Éditions de Minuit, 2012.
DIDI-HUBERMAN Georges, Peuples en larmes, peuples en armes (L’Œil de l’Histoire 6), Paris, Les Éditions de Minuit, 2016.
GREEN Jeffrey E., The Eyes of the People. Democracy in an Age of Spectatorship, Oxford, Oxford University Press, 2010.
JEANPIERRE, Laurent, « Les populismes du savoir », dossier « Populismes », Critique, n° 776-777, 2012/1-2, p.150-164.
LACLAU Ernesto, La razón populista, Fondo de Cultura Económica, México DF, 2005.
RANCIERE Jacques, Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique Éditions, 2008.
TARRAGONI Federico, L’Esprit démocratique du populisme. Une nouvelle analyse sociologique, Paris, La Découverte, 2019. 
 
Procédure de soumission
 
Les articles seront rédigés dans l'une des langues de la revue Atlante: français, espagnol, portugais ou italien.
Les propositions d’articles (titre et résumé de 300 mots environ), accompagnées d’une brève notice biographique, seront à envoyer pour le 15 juillet 2023 aux adresses suivantes :  et 
Les décisions d’acceptation seront communiquées aux auteurs pour le 15 septembre 2023.
Après acceptation d’une proposition d’article, les contributions sont à envoyer aux coordinateurs du dossier avant le 15 décembre 2023, délai de rigueur. Les auteurs veilleront à respecter scrupuleusement les normes de présentation disponibles à l’adresse : https://atlante.univ-lille.fr/procedure.html
Les articles seront soumis à expertise par le comité scientifique, et le retour d’évaluation aux auteurs est prévu le 15 mars 2024
La version définitive de l’article sera envoyée pour le 15 juin 2024.
Publication du numéro : automne 2024.
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