Dans le cadre des recherches menées par le Centre de Recherche sur les Littératures et la Sociopoétique (CELIS) autour du genre (gender) et son rapport aux genres littéraires, et dans le prolongement du séminaire « Poésie au féminin » (équipe Littératures 20/21) qui s’est déroulé à la MSH de Clermont-Ferrand d’avril 2011 à avril 2012, une journée d’étude est organisée à l’université Blaise Pascal – Clermont-Ferrand II, le 11 mars 2016 sur le thème « Poésie des femmes et poétique(s) du corps de 1950 à nos jours ».
Le « corps », envisagé sous l’angle des données de la biologie, de la sexualité, de « l’expérience vécue » dans la culture androcentrée, constitue l’une des notions centrales de la théorie féministe développée par Simone de Beauvoir dans Le Deuxième sexe. Représentant l’un des aspects fondateurs de la « situation » de la femme en tant qu’« Autre » de la culture androcentrée, utilisé comme prétexte autour duquel se construit la hiérarchie des sexes, s’il permet « de comprendre la femme », comme l’écrit Beauvoir, le corps ne saurait en aucun cas constituer « un destin figé », un quelconque « déterminisme », justifiant son « rôle subordonné ». Dans quelle mesure les textes poétiques féminins laissent-ils voir ces traces de la constitution biologique de « la femme » envisagée « négativement », dans l’optique beauvoirienne d’« asservissement » à l’espèce et au pouvoir masculin? Lit-on dans ces textes le rejet du corps féminin vécu comme expérience aliénante ou réductrice ? Quels procédés imaginaires, thématiques, formels et stylistiques l’évoquent ?
En revanche, le corps est revalorisé par la pensée de « l’écriture féminine », telle qu’elle s’est développée avec le féminisme de la « deuxième vague », dont « Le rire de la Méduse » d’Hélène Cixous est considéré comme le manifeste. Le corps est redécouvert dans ses puissances, ses vertus, comme métaphore de la créativité des femmes devenues sujets de leurs propres discours, poétiques, artistiques, intellectuels : « il faut que la femme s’écrive ». Dans L’écriture-femme, Béatrice Didier, dont le point de vue n’est pas exactement celui des penseuses des années soixante-dix, déclare que l’ancrage de « l’écriture féminine », dans ce qu’elle comporte de neuf « et révolutionnaire », réside dans « l’écriture du corps féminin, par la femme elle-même ».
Cette journée d’étude questionnera l’inscription dans le texte poétique du vécu corporel féminin. Certaines expériences, spécifiquement féminines, mettent directement le corps à l’épreuve, comme tout ce qui touche à l’enfantement (conception, grossesse, accouchement ou encore avortement). Par ailleurs, le thème du corps est également, parfois, une source de souffrance et de pathologies : blessure, maladies, mais aussi menstruations. On peut également songer à l’éthique du care et à l’évocation, en poésie, de soins dédiés aux autres (à l’enfant, mais pas seulement). Sur un plan plus strictement littéraire et poétique, le « corps » est en lien avec l’oralité (ou « l’oralitude »), autour du motif de la voix : comment celle des femmes, des mères, le dialogue entre femmes sont-ils écrits poétiquement ? La thématique du corps, enfin, est bien sûr en lien étroit avec l’érotisme et l’évocation poétique de la sexualité.
Qu’en est-il de la mise en scène poétique de ces thématiques dans l’écriture des poètes femmes de 1950 à nos jours ? Peut-on associer « l’oralitude » au spécifiquement féminin, autour du motif de la voix, notamment maternelle, dans les œuvres des poètes femmes, comme le suggèrent Hélène Cixous et Béatrice Didier? Peut-on concevoir une poétique de l’enfantement, où seraient mis en relation, par exemple, la constance des premiers soins et un rythme (syntaxique, métrique, sémantique) lié, une esthétique du continu ? A l’inverse, la fragmentation du rythme, de la structure ou/et du langage poétiques, peut-elle renvoyer au temps fragmenté de l’expérience traditionnelle de la féminité ? Existe-t-il une forme stylistique propre à l’écriture de la sexualité et de l’érotisme ? On peut encore envisager la construction du corps opérée par les normes sociales et s’intéresser à la « stylisation genrée » des corps évoquée par J. Butler dans Gender Trouble : Feminism and the Subversion of Identity. De quelle manière apparaît-elle dans les textes ? En constitue-t-elle une thématique ou se traduit-elle par des procédés stylistiques ? Ces expériences vécues par le corps peuvent-elles générer des esthétiques littéraires et poétiques ? Entre souci des autres et engagement dans l’écriture, quelles voies « esthétiques » pour la poésie écrite par les femmes ?
Au contraire, certaines écrivaines « ont violemment refusé ces étiquettes et ces perspectives critiques », comme Nathalie Sarraute et Monique Wittig, « qui toutes deux n'ont pas eu de mots assez durs pour refuser, dans une perspective universaliste, ce type d'approche » (Yannick Chevalier). Ces écrits nourriront aussi la réflexion de cette journée d’étude, où nous questionnerons cette vision « corporelle » de la femme, cette tentation à toujours la ramener à son corps et ses affects, comme l’engagement poétique et politique de certaines poètes à inscrire ces données dans l’écriture pour créer « un autre langage », renouveler la tradition poétique. Cette journée interrogera la notion d’« écriture féminine » en poésie par le biais des conceptions plurielles dont elle fait l’objet, comme de la diversité des positionnements des poètes femmes.
La journée d’étude aura lieu le 11 mars 2016 à la MSH de Clermont-Ferrand. Les propositions de communication sont à envoyer avant le 30 juin 2015 aux organisatrices aux adresses suivantes :
Les réponses seront communiquées début septembre 2015.
|