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PLAGIAT: Machines à voler les mots. Le rôle des technologies et techniques du langage dans la conception et la pratique du plagiat Télécharger au format iCal
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Forme particulière du délit de contrefaçon, le plagiat a pu s’imposer depuis quelques années sur les devants de la scène médiatique (comme on peut le constater, par exemple, dans l’ouvrage d’Hélène Maurel-Indart, Du plagiat, 2011) : précisément, depuis que la technologie informatique a multiplié d’une manière vertigineuse les moyens de reproduction et circulation des produits de l’esprit (dont les textes écrits), jusqu’à ce qu’un conflit assez violent s’ouvre avec le principe de propriété privée qui régit notre société. Mais la question du plagiat est loin de se réduire aux aspects commerciaux et légaux auxquels elle doit son retentissement actuel. Ce n’est pas par hasard si Mercure est à la fois le dieu des lettrés et des voleurs, écrivait plaisamment le jésuite italien Daniello Bartoli, dans un ouvrage (L’uomo di lettere, 1645) où il dénonçait à la fois le très ancien art du vol (« l’antichissima arte del rubare ») et donnait des conseils pour bien le pratiquer.

Le fantasme du vol de mots (exploré assez récemment dans la la belle monographie de Michel Schneider, Voleurs de mots, 1985) plane sur toutes les époques, y compris celles où on l’évoque moins, car de fait sa toile est tissue de maints fils. Plus que d’un fantasme, en réalité, il s’agit  d’une constellation de fantasmes, un entrelacs de questions qui se posent tant sur le plan de la psychologie que sur celui de la sociologie du langage : la nature de l’identité personnelle et celle de la propriété intellectuelle, les notions de prestige et d’autorité, les relations entre la matière et la forme, entre les morts et les vivants, l’angoisse d’impuissance et l’idéal de l’authenticité, la mélancolie de l’effacement du sujet et la jouissance du vol, la jalousie et l’envie, la différence entre incorporation et assimilation...

Analysé le plus souvent comme question légale ou du point de vue de l’écriture, le plagiat peut d’ailleurs aussi être regardé du point de vue de la lecture (la réception faisant le voleur, comme l’a récemment suggéré M. Randall, Pragmatic Plagiarism, 2001). Notre optique sera encore différente : nous nous proposons d’envisager l’impact des techniques – dans un sens assez large – dans l’imaginaire et dans la pratique du plagiat.

Dans un premiers sens, cela concerne les technologies qui ont tour à tour permis l’usage social du langage et l’histoire de leurs modifications, qui déplacent les seuils historiques de la perception du plagiat. Les passages de la parole orale à la parole écrite, du manuscrit à l’imprimerie, du livre aux supports informatiques et numériques constituent à l’évidence des facteurs majeurs de changement de l’image du langage et des notions d’identité et de propriété qui s’y réfèrent. Les modalités de ces changements sont complexes (par exemple, internet à la fois banalise l’incorporation des textes et permet de mieux la déceler...) et méritent d’être explorées.

Dans une autre acception, la ‘technique’ peut être entendue comme l’ensemble des codes qui régissent certaines pratiques linguistiques et qui prêtent au ‘vol’ ou, au contraire, le rendent criminel. Ainsi, certains genres littéraires ont pu sembler comme territoires exposés aux pratiques du plagiat : c’est au poète latin Martial qu’on doit l’usage du mot plagiarius pour indiquer les voleurs de mots, précisément parce que le genre par lui pratiqué (l’épigramme satyrique, forme brève et destinée à une ‘consommation sociale’) était de nature à provoquer le vol ; de même, les prologues des comédies grecques et latines anciennes sont l’un des réservoirs les plus riches et les plus précoces de débats autour de ce qui est permis ou défendu de voler. A la Renaissance on pillait très souvent, par exemple, les répertoires érudits (cfr. P. Cherchi, Polimatia di riuso, 1998 et R. Gigliucci [éd.], Furto e plagio nella letteratura del Classicismo, 1998). De nos jours, sans évoquer les produits de l’industrie musicale ou cinématographique, particulièrement frappés par le ‘piratage’ des internautes (forme de ‘vol’ qui concernent cependant la jouissance encore plus que la création des œuvres) on peut sans doute identifier des catégories textuelles plus exposées que d’autres et étudier leurs codes propres. Enfin, la littérature dans son ensemble peut être conçue comme une technique langagière particulière qui précisément institue la figure du plagiaire (il n’y aurait probablement pas de plagiat, ou presque, s’il n’y avait que l’usage ‘ordinaire’ de la langue...) et à la fois le banalise (cf. les théories de l’imitation, puis de l’intertextualité) et le criminalise (cf. l’esthétique romantique de l’originalité et ses avatars).

Encore, dans une troisième direction, on peut étudier le plagiat comme étant lui-même une technique, tantôt défendue, tantôt sournoisement illustrée : depuis les polémiques du théâtre antique jusqu’aux textes juridiques modernes qui fixent les normes de la circulation correcte des mots et des idées, en passant par les débats humanistes sur l’imitation, toute une littérature évoque le plagiat et le décrit dans ses ressorts et dans ses moyens, tâchant tant bien que mal de le distinguer des formes légitimes de l’imitation des modèles, mais laissant parfois transparaître une attirance secrète précisément pour le tabou qu’il cache : celui de l’appropriation d’autrui.

 

Lieu Dijon
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Colloque interdisciplinaire couvrant toutes les périodes.

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