Aux confins du silence : langages et métamorphoses du silence dans le monde hispanophone Télécharger au format iCal
 
Colloque du laboratoire junior ¡Silencio!
25 et 26 mai 2023 - ENS de Lyon
Appel à communications
 
« Aux confins du silence : angages et métamorphoses du silence dans le monde hispanophone »
Le laboratoire junior ¡Silencio!, créé en 2020 à l’École Normale Supérieure de Lyon, réunit une vingtaine de doctorants de la France entière autour de l’étude des formes et manifestations du silence dans les territoires hispanophones, toutes disciplines scientifiques et toutes aires historiques confondues. Le projet, qui a été financé pour deux ans et s’est vu prolongé d’une année, prendra fin en juin 2023. Le colloque : « Aux confins du silence : Langages et métamorphoses du silence dans le monde hispanophone » sera l’aboutissement de la réflexion menée collectivement durant ces trois dernières années.
Le laboratoire junior ¡Silencio! a débuté son étude du silence en partant du constat que le verbe « silenciar » en espagnol n’a pas de traduction littérale en français car il revêt deux sens diamétralement opposés, mettant ainsi en lumière une contradiction inhérente à l’étude du silence : c’est l’action d’un sujet qui choisit de taire quelque chose, mais c’est aussi la  soumission d’un sujet par autrui, autrement dit, l’exercice d’une contrainte sur autrui alors forcé de rester coi. Lors de ce colloque, nous souhaitons aller au-delà de l’identification des formes, des expressions, des rapports au pouvoir et des ruptures du silence. La réflexion proposée veut interroger la forme en mouvement du silence, sa métamorphose constante qui en fait un objet en mutation. Il s’agira d’étudier dans quelle mesure le silence peut se retrouver dans les confins – au sens de zones des extrémités prises entre plusieurs jeux d’influences –, par exemple entre les différentes disciplines, entre les arts et entre les genres, ou comment il se place au-delà des frontières de la parole et du simple dire. Interroger les langages et les métamorphoses du silence (nous insistons sur le pluriel), c’est à la fois identifier de nouvelles formes permettant de cerner l’acte de la non-parole par des traces qui font partie intégrante de sa structure d’expression et qui sont tout aussi signifiantes que le dire lui-même. Mais c’est tout autant identifier les lieux ou traces du silence : à quel niveau se situe le silence ? Le silence ne se retrouve-t-il que dans les béances de l’absence ou peut-il se retrouver au cœur même de la diégèse dans des descriptions ou des passages de logorrhée verbale ?  Le silence est par essence fluctuant, capable de se mouvoir, de se métamorphoser pour exprimer, réexprimer, faire allusion, briser les frontières et devenir création.
Dans ce sens, il est important de constater que le silence peut adopter des formes plus subtiles que l’absence de bruit ou de parole : on peut l’identifier dans l’expression orale ou écrite, à travers l’ironie, la suggestion ou l’allusion, qui est une expression silencieuse. Pierre Fontanier, dans Les Figures du discours[1], précise que l’allusion permet de « faire sentir le rapport d'une chose qu'on dit avec une autre qu'on ne dit pas, et dont ce rapport même éveille l'idée ». L’allusion est donc ce qui dit sans dire, ce qui a recours au silence pour exprimer davantage que ce que la parole peut faire. Les sous-entendus en disent souvent beaucoup sur celui qui s’exprime : ne dit-on pas d’ailleurs communément qu’un silence peut en dire long ou qu’il peut être éloquent ? Le philologue est d’ailleurs souvent témoin du fait que le « je » s’exprime parfois davantage dans l’allusion, ou dans la suggestion, que dans l’expression manifeste. C’est le cas, par exemple, dans la forme indéfinie « uno/una » dans la langue espagnole qui cache une première personne sémantique (« je ») derrière une troisième personne grammaticale (« on »).
Ainsi le silence dans l’allusion fait-il preuve d’une force subversive qui permet de questionner un peu plus la nécessité – ou l’efficacité – de la rupture du silence. Elle permet une rupture douce du silence, sans excès de parole, mais non pour autant dénuée de puissance sémantique. Si l’on considère que des paroles tranchantes ou qui relèvent du cri sont à l’opposé du silence, l’allusion devient une sorte de compromis entre les deux. Elle permettrait de contourner l’aspect que l’on pourrait qualifier de « totalitaire » d’une parole excessive ou d’un silence imposé. L’aspect évasif de l’allusion lui permet également d’échapper au silence de la censure. Il s’agit de dire sans dire, de dire indirectement, que ce soit pour louer ou pour critiquer.
En en disant moins, on suggère plus, et cela implique aussi un rôle actif laissé au récepteur qui doit comprendre les insinuations. Cela invite à interroger la théorie de la réception des arts, et l’idée d’une resémantisation du silence, qui ne serait alors plus seulement une réaction à un phénomène d’oppression, ou à une contrainte venue de l’extérieur, mais offrirait à chaque récepteur du jeu pour combler les blancs et construire sa propre interprétation de l’œuvre. Il s’agit alors d’interroger l’intermédialité et l’intertextualité[2] dans et entre les arts, ceux-ci faisant constamment allusion les uns aux autres sans forcément se citer explicitement[3], s’inspirant et se rendant hommage mutuellement dans un demi-silence excluant parfois un récepteur qui ne serait pas capable de déceler la référence. L’allusion dans ce sens joue également sur l’analogie, qui doit rappeler quelque chose de connu chez le récepteur, sous peine de ne pas être saisie. Elle dépend alors totalement de celui qui construit une relation esthétique avec l’œuvre d’art dans la mesure où toute construction du sens et tout dialogue ne sont possibles que si l’analogie est saisie. À l’inverse, l’œuvre serait alors condamnée au silence.
De plus, l’expression de l’identité du sujet peut se faire de manière silencieuse, bien qu’elle puisse aussi provoquer beaucoup de bruit, à travers la constante évolution des réflexions autour du genre et de l’identité des individus depuis les deux dernières décennies. Le choix de certains codes de genres peut permettre d’exprimer son identité, ou au contraire, de la refouler, de la taire ou encore de la brouiller. La question du genre est intimement liée à la thématique du silence, puisqu’autour du genre, de l’absence de genre ou de l’hybridité des genres, il existe de nombreux tabous qui passent sous silence ces problématiques. Mais quand le silence, pouvant tendre vers l’aphasie, se fait trop pesant, trop insupportable, les langues se délient, le bruit ressort, comme on peut le voir dans le monde hispanique, avec de nombreux collectifs qui luttent pour la reconnaissance des droits des personnes transgenres, des minorités sexuelles, et pour l’égalité des genres. Nous pensons par exemple au collectif chilien de défense des droits lesbiens « Rompiendo el Silencio »[4], ou à la rappeuse argentine Romina Bernardo (Chocolate Remix) dont l’engagement artistique épouse la cause des violences faites aux femmes.
Finalement, le silence n’offre pas seulement une nouvelle forme d’expression, mais permet également un retour sur soi-même, une possibilité de recueillement. En nous intéressant aux formes allusives de l’expression, et en mettant en lien ces formes de communication avec l’expression du « je », nous devons considérer le lien entre silence et solitude, qui permet à l’individu d’entamer une démarche d’introspection, comme l’actualité de ces dernières années nous a permis de le constater. En effet, la crise sanitaire et les différents confinements imposés ont bien souvent condamné les individus à la solitude. Étonnamment, c’est dans ces circonstances que les maisons d’édition ont vu se multiplier les envois de manuscrits, la confrontation au silence de la solitude favorisant le passage à l’écriture.
Ainsi, les différentes réflexions, qui peuvent s’inscrire dans des disciplines diverses et aborder des objets d’études variés et pluriels, pourront porter sur les thématiques suivantes, sans s’y restreindre :
- l’exploration des potentialités de l’allusion ;
- les œuvres silenciées (que ce soit par la censure, la réception du public ou parce qu’elles sont passées inaperçues pour des raisons diverses) ;
- la place du silence dans l’acte d’écriture et de lecture ;
- le silence de l’histoire (et de l’Histoire) ;
- le silence comme insuffisance ou le silence comme volonté ;
- les moyens d’expressions du silence alternatifs à la parole (la photographie, l’œuvre plastique, etc.), et le silence comme geste (manifestations silencieuses par exemple).
 
Modalités :
Les propositions pourront être envoyées avant le 12 janvier 2023 à l’adresse du laboratoire junior : . Elles seront composées d’un résumé d’environ 750 caractères accompagné d’un titre et d’une présentation bio-bibliographique.
Les réponses seront données fin janvier 2023.
Les interventions peuvent se faire en français ou en espagnol.
 
Comité scientifique :
Isabelle Bleton – École Normale Supérieure de Lyon
Zoraida Carandell – Université Paris Nanterre
Mariana Domínguez Villaverde – Université Grenoble-Alpes
Geoffroy Huard – Cergy Paris Université
Claudia Jareño Gila – Cergy Paris Université
Olga Lobo Carballo – Université Grenoble-Alpes
Marina Mestre Zaragoza – Université Jean Moulin Lyon 3
David Crémaux-Bouche – Université Grenoble-Alpes
Lou Freda – Université Paris Nanterre
Marie Gourgues – Université de Caen Normandie
Anna Rojas – Cergy Paris Université
 
Comité d’organisation :
David Crémaux-Bouche – Université Grenoble-Alpes
Lou Freda – Université Paris Nanterre
Marie Gourgues – Université de Caen Normandie
Anna Rojas – Cergy Paris Université
Adresse mail du laboratoire junior :
Carnet Hypothèses : https://silencio.hypotheses.org
 
Bibliographie indicative :
Allard, Laurence, « Dire la réception - Culture de masse, expérience esthétique et communication », Réseaux, vol.12, n°68 (1994), Paris, p. 65-84.
Benito Mendoza, Elizabet, Escuchando el silencio. La introspección por medio del autorretrato, València, Universitat Politècnica de València, 2020.
Beristáin, Helena (coord.), Alusión, referencialidad, intertextualidad, México, Universidad Nacional Autónoma de México, 2006.
Bindeman, Steven L., Silence in philosophy, literature, and art, Boston, Brill-Rodopi, 2017.
Blesa, Túa, Logofagias: los trazos del silencio, Zaragoza, Universidad de Zaragoza, 1998.
Caceres, María Leticia, Silencio sonoro (poemario) : 1954-1972, Arequipa, El sol, 1972.
Corbin, Alain, Histoire du silence, De la renaissance à nos jours, Paris, Albin Michel, 2017.
Domínguez Cáceres, Roberto, « El silencio cómplice: no hablar de género », in Camargo Castillo, Javier, García-González, Dora Elvira (éd.), Matrices De Paz, México, Bonilla y Artigas, 2018.
Fontanier, Pierre, Les Figures du discours, Paris, Flammarion, 1977.
Genette, Gérard, Palimpsestes, Paris, Seuil, 1982.
Jauss, Hans Robert, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978.
Kristeva, Julia, SemeiotikeRecherches pour une sémanalyse, Paris, Editions du Seuil, 1969.
Lajarrige, Jacques, Moncelet, Christian (éds.), L’allusion en poésie, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2002.
Leenhardt, Jacques, « Théorie de la communication et théorie de la réception », Réseaux, vol.12, n°68 (1994), Paris, p. 41-48.
Méndez Guerrero, Beatriz, « Silencio, género e identidad: actitudes de los jóvenes españoles ante los actos silenciosos en la conversación », in Revista de Filología, n°35, mars 2017, Santa Cruz de Tenerife, Universidad de La Laguna, p. 207-229.
Müller, Jürgen Ernst, « Vers l'intermédialité : histoires, positions et option d'un axe de pertinence », Médiamorphoses, vol.16 (2006), Paris, p. 99-110.
Murat, Michel (dir.), L’Allusion dans la littérature, Paris, Presses de la Sorbonne, 2000.
Noyaret, Natalie, Orsini-Saillet, Catherine (coord.), L’expression du silence dans le récit de fiction espagnol contemporain, Binges, Editions Orbis tertius, 2018 
Pagès, Stéphane, « Une des modalités de la citation : l’allusion. L’écriture allusive, élusive et ludique de Julián Ríos dans Larva », Cahiers d’études romanes, n°2 (1999), Aix-en-Provence, p. 145-157.
Ross, Stéphanie, « Art and Allusion », The Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol.40, n°1 (automne 1981), Hoboken, p. 59-70.
Schultz, Margarita, « Naturaleza de la imagen musical: presencia y alusión », Anales de la Universidad de Chile, vol.5, n°11 (1986), Santiago de Chile, p. 193-204.
Umpierre, Gustavo, Divinas palabras: Alusión y alegoría, Barcelona, Castalia, 1971.
Vaisse, Pierre, « Du rôle de la réception dans l’histoire de l’art », Histoire de l'art, n°35-36 (octobre 1996), p. 3-8.
Van den Heuvel, Pierre, Parole, mot, silence : pour une poétique de l’énonciation, Paris, José Corti, 1985.
Vernon, Peter (éd.), Allusion et accès, Tours, Presses Universitaires François Rabelais, 2005.
 
[1] Fontanier, Pierre, Les Figures du discours, Paris, Flammarion, 1977, p. 125.
[2] Julia Kristeva est la première à définir l’intertextualité en disant, dans Semeiotike, Recherches pour une sémanalyse, que : « Tout texte se construit comme mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte » in Kristeva, Julia, « Le mot, le dialogue et le roman », Semeiotike, Recherches pour une sémanalyse, Editions du Seuil, 1969, Paris, p. 85.
[3] À propos de l’intertextualité nous pouvons aussi citer : Genette, Gérard, Palimpsestes, Paris, Seuil, 1982.
Lieu Ecole Normale Supérieure de Lyon (ENS de Lyon)
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