Ce troisième et dernier volet de « Poésique », après s’être intéressé à la chanson et à la traduction en lien avec la poésie, portera cette fois sur astronomie et musique.
Des valses de Josef Strauss (1868) et son Sphären-Klänge au fameux label de musique «Universal» qui rend hommage explicitement au terme anglais désignant l’harmonie des sphères (« Universal Music ») en passant par la figure de William Herschel, astronome de renom, compositeur et musicien, connu pour avoir découvert Uranus en 1781, les zones d’influence astrale, de Pythagore à Aristote, sont intrinsèquement liées aux notions d’harmonie et de proportion, d’enchaînement des accords ou d’orchestration en musique. L’intervalle, l’intermède, l’interlude... les variations se déclinent ainsi en rythme – un rythme éminemment scientifique. Si l’on en croit les astrophysiciens Jean-Pierre Luminet et Marc-Lachièze Rey, auteurs de l’ouvrage et catalogue de l’exposition sur le même thème organisée en 1998 à la Bibliothèque Nationale de France, Figures du ciel. De l’harmonie des sphères à la conquête spatiale (Paris : Seuil, 1998), qui s’attache à rallier l’évolution des mystères de l’art et du cosmos aux grandes étapes fondatrices de l’histoire des sciences, le mouvement d’un astre poserait également la question de l’affiliation entre mathématique, métaphysique et musique tout en ramenant, plus globalement, la condition du musicien à sa place dans l’univers.
Si chez les Grecs anciens, chaque planète correspondait à une muse ou à un mode musical, la gamme de Pythagore instaurait dès lors une symbiose en sept temps, fût-elle symbolique, entre le son et le ciel. Dans le prolongement des théories platoniciennes, l’humanisme musical connaît un développement considérable en Europe aux XVe et XVIe siècles. Marsile Ficin dans De Vita Triplici (1489) considère la musique comme une force animée occupant une place centrale dans l’univers et le système cosmique, dont Apollon, le soleil, est le principal générateur. Ainsi les interactions entre la musique créée par l’homme et la musique du cosmos sont largement théorisées dans les traités ou les poèmes
de la Renaissance. Ainsi, dans l’Espagne du siècle d’or, Fray Luis de León consacre sa fameuse Ode à Francisco de Salinas, auteur du traité De Musica Libri Septem (1577), à la « musique astrale », rencontre des puissances sensitives de l’homme et de la présence divine. La musique des sphères émanant directement de Dieu constitue un puissant connecteur entre l’homme et le créateur ; elle acquiert sa condition magique lorsqu’elle entre en contact avec les énergies cosmiques. En 1619, Johannes Kepler expose, dans son ouvrage Harmonice Mundi (1619), les lois géométriques inscrites dans l’univers qui gouvernent non seulement les dimensions cosmiques et les mouvements planétaires, mais également les consonances musicales.
Cette adéquation aux allures d’idéal a fait des émules, tant chez les bardes – nous pensons, par exemple, au romantisme et à son lyrisme atmosphérique – que chez les scientifiques, toujours en quête, encore aujourd’hui, d’une véritable «résonance acoustique» (Sylvie Vauclair) entre les sphères. Et il y a bien résonance puisque, entre ciel et verbe, la musique s’étend au langage, puis aux saisons, pour le dire avec le poète James Thomson, élève de Newton, d’un pays à l’autre, voire d’une culture à l’autre. Classique ou populaire, l’héritage se poursuit. Chez les Beatles, par exemple, le ciel de 1967 est diamanté, quand la Lucy de Lennon rend hommage au monde de l’enfance et aux équations surréalistes du mathématicien anglais, Lewis Carroll. Au ciel également, Léo Ferré offrira un opéra, pour «gueuler dans le silence/De l’éternelle voûte immense /Que l’on prétend être les cieux ». En 2012, Francis Cabrel « vise[ra] », à son tour, « le ciel », référence éponyme qui va bien au-delà du jeu de mot ou de la métaphore, quand il choisit d’adapter les chansons de Bob Dylan dans un album- hommage de reprises.
En marge des couleurs musicales et de sa palette de sonorités infinies, les sphères dessinent un mouvement toujours ascendant pour la créativité du musicien en lui insufflant des objectifs rationnellement irrationnels – l’inatteignable – et donc le statut d’un Dieu. La musique est une religion, dit-on parfois. Que dire alors des sommets de la gloire, des échos du succès, des vibrations spirituelles (ou artificielles) d’une musique, ancienne ou moderne, sensuelle ou caverneuse, qui se rêve gravitant dans un autre monde, voire dans un autre corps, que le sien? La musique des sphères impose aussi au compositeur ce genre de réflexions qui lui permettraient de devenir philosophe et de réfléchir, sur les traces de Descartes, à une esthétique musicale essentiellement physique ; ou « physico-mathématique » plutôt, pour le dire avec Isaac Beeckman dans son Journal (1604-1634), première voix fondatrice de la loi de la vibration des cordes reprise par Marin Mersenne en 1636 dans son Harmonie universelle. De l’organe à l’organisme, il n’y a qu’un pas, un rythme (cardiaque), un battement qui s’évapore, une corde brisée ou une fausse note. La sphère est un corps, ne l’oublions guère, céleste, gazeux, circulaire comme un disque – un corps qui doit survivre au chaos, à la discorde et donc aux limites de la science. Dans ce contexte, la musique est une fièvre, libre de créer ses propres ictus qui feraient trembler les plus cartésiens d’entre nous. Versant ou verset morbide de cet hommage musical au royaume des cieux, les notes du malade, voire du fou ou du psychédélique, nous invoquent tout un éventail de génies, d’étoiles, dirions-nous volontiers en pensant au terme anglais, rock stars, qui, entre ciel et terre, se sont perdus en chemin. En cela la folie sublime de Mozart ou de Brian Jones, de Keith Moon ou d’Ozzy Osbourne, le prince des ténèbres, inspire autant la terreur qu’un certain enchantement.
Nous invitons donc les spécialistes de musique, de poésie, d’astrophysique ou de mathématiques, et de bien d’autres domaines encore, à proposer des contributions sur ces thématiques qui couvrent un périmètre suffisamment large pour englober tous les styles et toutes les langues, en favorisant autant l’interdisciplinarité que le croisement des différents champs et sphères (encore elles !) du savoir au sein d’une même discipline.
Les propositions (un résumé de la communication de 300-500 mots + une courte biobibliographie) sont à envoyer d’ici le 15 juillet 2021 à :
et anne.cayuela@univ- grenoble-alpes.fr
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