Politiques et Pratiques Culturelles dans les Villes: pour une approche comparée Europe/Amériques
Journée d'études du jeudi 11 juin 2020
1. Argumentaire scientifique
La culture est devenue ces dernières années l’un des axes forts de développement urbain. Historiquement définies et menées à l’échelon national, les politiques culturelles ont progressivement été captées par les autorités locales, l’échelon urbain s’imposant comme le niveau privilégié de l’action publique en ce domaine. Si en Amérique latine ce phénomène s’est renforcé avec les politiques de décentralisation et la libéralisation des économies dans les deux dernières décennies du XXe siècle, en Europe et en Amérique du Nord, l’émergence des villes comme des acteurs culturels de poids s’explique tant par des processus globaux que par des évolutions internes spécifiques à chaque pays. Sur les deux continents, la culture est désormais un volet significatif de l’agenda urbain. Elle se caractérise parfois par l’implication d’acteurs privés aux côtés d’acteurs publics ainsi que par une forte imbrication d’enjeux économiques et sociaux.
Aussi si le constat de la culture comme composante incontournable des politiques locales est aujourd’hui largement partagé, deux axes semblent néanmoins se détacher. Certains chercheurs parlent de « registres de légitimation » (Saez, 2008), qui a priori apparaissent comme difficilement conciliables : d’un côté une vision de la culture comme levier de développement économique, de l’autre une préférence pour la culture comme source d’épanouissement personnel et collectif, et davantage perçu comme un outil de développement social.
Le premier axe s’est développé ces dernières années dans un contexte de concurrence accrue entre les villes à l’échelle mondiale : les politiques culturelles devenant des outils privilégiés pour assurer et renforcer l’attractivité territoriale. Dans les Amériques comme en Europe, les autorités locales ont ainsi mis en place des stratégies variées, allant de l’élaboration de plans de développement culturel à la construction de méga-équipements, dans la lignée de Barcelone ou de Bilbao. Ces politiques, largement influencées par les références à la « ville créative » (Florida, 2005 ; Landry 2008) ont élevé la culture au rang de « ressource économique ». Par la construction d’infrastructures spécifiques ou par l’organisation d’événements phares, elles permettent ainsi aux villes de renforcer leur « capital symbolique collectif » (Harvey, 2002). L’obtention de certaines distinctions (« capitale ibéro-américaine de la Culture », « ville créative de l’UNESCO », etc.) s’inscrit aussi dans cette logique. C’est le cas par exemple de la course au statut de « ville patrimoine de l’Humanité » qui en Amérique latine s’est accélérée à partir des années 1990.
Le deuxième axe repose, lui, sur l’idée de démocratisation et sur l’hypothèse que l’un des objectifs premiers de toute politique culturelle consiste à faire accéder le plus grand nombre de personnes aux biens et services culturels. Cette dynamique a été privilégiée dans certains pays européens dans les années 1970 et 1980 avec un effort conséquent dans les quartiers les plus défavorisés. Les observateurs des politiques culturelles tendent à s’accorder néanmoins sur un constat d’échec de cette stratégie, constat fondé notamment sur la persistance de fortes disparités entre les groupes de populations selon l’appartenance socio-économique.
De plus, dans un contexte mondial où la culture devient une « marque de distinction » pour les métropoles mais aussi pour certaines villes moyennes, le décalage entre les politiques locales officielles et les nouvelles formes de pratiques culturelles ne cesse de s’affirmer. Ainsi, si un certain street art est désormais reconnu comme une pratique artistique à part entière, d’autres formes d’intervention dans l’espace public ou de pratiques culturelles au sens large le sont moins comme par exemple le tag, le slam, le rap, le parkour (discipline sportive urbaine) ou autres pratiques de rue fortement liées aux réseaux sociaux (flashmobs, jumpstyle, etc.)
La faible convergence entre la politique culturelle officielle et les pratiques culturelles de certaines populations persistent et ce malgré la multiplication des appels internationaux à favoriser la diversité culturelle. L’un des plus connus de ces derniers est l’Agenda 21 de la Culture, signé en 2004 lors du Forum des Autorités Locales de Barcelone, qui s’inscrit dans la lignée de la Déclaration Universelle de l’UNESCO sur la Diversité Culturelle (Unesco, 2001) et du Forum de Porto Alegre qui avait fait de la Culture le « 4ème pilier du développement ».
Or, qu’elles soient influencées par le modèle de la « ville créative » destiné à un public privilégié, ou davantage attirées par des programmes de démocratisation culturelle, force est de constater que les autorités locales procèdent à une hiérarchisation des pratiques et tendent à favoriser certaines formes aux dépens des autres.
2- Objectifs et modalités de participation
L’objectif de cette journée d’études (ouverte à toutes les disciplines de sciences humaines et sociales) est d’illustrer et d’analyser les deux axes du registre culturel définis ici. Il s’agit de souligner les « tensions » dans les villes des Amériques et dans les villes européennes entre d’une part des politiques culturelles ancrées dans une politique d’attractivité territoriale et les pratiques culturelles de populations d’origines et de statuts divers.
Les interventions souhaitées dans le cadre de la journée d’études s’appuieront sur des travaux empiriques mettant en scène des villes (indépendamment de leur taille) localisées dans les Amériques ou en Europe. Les discussions à l’issue de chacune des présentations seront centrées sur l’analyse des « tensions » entre politiques culturelles et pratiques culturelles dans une perspective comparée entre les villes dans les Amériques et les villes en Europe.
Les propositions (une page incluant le titre, le résumé et les références bibliographiques de l’intervention, le nom du chercheur.e , son affiliation institutionnelle et son adresse email) devront parvenir à Diana Burgos-Vigna () et Cynthia Ghorra-Gobin () avant le 23/03/2020. Les réponses seront envoyées le 20/04/2020 en vue de la journée d’études qui se déroulera le 11/06/2020 à l’Institut des Amériques (Campus Condorcet).
|