On sait, depuis le célèbre article d’é. Benveniste, que le rythme est une « manière particulière de fluer », dont le système métrique, auquel on l’a longtemps réduit, a codifié les configurations possibles en fonction de schémas culturels prédéterminés ; et l’on s’accorde, depuis les travaux d’H. Meschonnic, à considérer que, loin d’avoir une existence en soi, il ne se manifeste que dans les réalisations individuelles d’un discours à l’intérieur d’un système linguistique, dans son lien étroit avec l’émergence du sens et l’engendrement même du texte littéraire.
Tout travail sur le rythme n’en continue pas moins, ou a fortiori, de susciter de multiples questionnements qui occuperont une place centrale dans ce colloque.
Analyser le rythme d’une prose suppose, bien évidemment, une connaissance préalable de la structure d’une langue, notamment de l’accentuation de ses morphèmes, accentogènes ou non et, surtout, de son phonétisme, ou de celui des langues romanes qui, à l’exception du français, ont en commun des accents de mot, accents toniques qui rythment nécessairement un discours, sans pour autant exclure les accents de groupe qui caractérisent la langue française. Mais une fois ce savoir acquis, on a tôt fait de s’apercevoir que les règles d’une langue présentent aussi de nombreuses accentuations potentielles avec lesquelles la réalisation d’une prose singulière peut jouer et qu’elle complexifie en multipliant les marques accentuelles.
De même, on ne manque pas de remarquer que les groupes rythmiques qu’on décèle à la lecture d’une prose ne coïncident pas nécessairement avec ses groupes syntaxiques et sémantiques, qui s’avèrent parcourus, et souvent liés entre eux par une complexe organisation prosodique (relative aux composantes consonantiques et vocaliques des mots). D’où, aussi, la difficulté de délimiter des segments rythmiques, à partir du moment où ce découpage ne peut souvent plus se fonder, comme on l’a longtemps fait, sur la syntaxe et le sens du texte, généralement soulignés par la ponctuation. Il suffit, pour s’en convaincre, de se pencher sur la prose narrative d’un auteur du XXe siècle qui bouleverse l’ordonnance logico-syntaxique du discours et de ses pauses au profit d’un continuum rythmique.
Mais les questions qui surgissent au fil des analyses ne portent évidemment pas que sur la prose narrative ; pas plus d’ailleurs que sur le seul champ littéraire, voire sur le seul rythme linguistique.
Ainsi, si la prose narrative peut s’organiser comme un récitatif, en va-t-il bien de même pour le poème en prose ou la prose poétique qui se caractérisent, à la lecture, par l’alternance de fragments rythmiques métriques immédiatement repérables et de passages où ce même rythme se délite ; une organisation paradoxale pour laquelle la métrique et la prosodie fournissent des instruments de mesure et fonctionnent parfois à rebours l’une de l’autre : telle diction scandée par le mètre s’effaçant devant une scansion imposée par la syntaxe qui coupe court à la mélopée et suscite du coup une nouvelle hypothèse interprétative.
Ainsi encore, si le rythme du discours, qui est spécifique du langage, ne saurait en principe se confondre avec le rythme musical, notamment parce qu’il est coextensif à la production du sens et qu’il ne comporte pas, comme la musique, des valeurs proportionnelles de durée, qu’en est-il dans un texte qui non seulement fait massivement référence au rythme musical pour désigner ses propres visées rythmiques, mais inscrit dans sa prose des fragments de comptines, de chansons et de vers de livrets opératique ?
On s’intéressera également aux questions liées à la traduction du rythme : comment traduire ou réinventer l’organisation rythmique spécifique d’un texte et d’un auteur dans la structure phonétique très différente d’une autre langue, en rendant à la fois son sens et sa signifiance ? Ou comment travaille un traducteur qui est un auteur, ou qui le devient à son tour à part entière par le travail même du traduire qui consiste à « faire en une autre langue ce que fait le texte original ».
La redéfinition même du rythme dans le langage « comme organisation du mouvement de la parole » (au sens saussurien), nous amènera enfin à prendre en compte aussi bien le rythme des activités, orales ou écrites, du langage non littéraire, qui s’avère également producteur d’un sens « par-dessus le sens ».
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