Dix ans après le congrès consacré à Nanterre aux « enracinements et déracinements » de Max Aub, cette deuxième rencontre se propose d’explorer la géographie littéraire d’une œuvre qui dit l’espace et le territoire, bien au-delà du vécu de cet écrivain cosmopolite et polyglotte (naissance à Paris de père allemand et mère juive, adolescence et jeunesse en Espagne, internement dans les camps du Vernet d’Ariège et Djelfa, exil au Mexique).
La notion d’exil littéraire suppose une approche territoriale de la littérature, concevable comme une cartographie. Les romans, poèmes et drames de Max Aub tracent aussi bien une géographie physique (le paysage y joue un rôle de premier plan) qu’une géographie morale : l’espace porte la trace de la présence humaine, son lest d’espoir ou de destruction. L’héroïne d’un récit de jeunesse d’Aub, Geografía, pose sa main sur un globe en miniature « avant de sentir sous sa main le crâne de quelque chose, plutôt que de quelqu’un d’impossible à qualifier ». Le globe terrestre est le cercle en os qui circonscrit la connaissance des hommes ; la vie de l’homme est un voyage, l’exploration de sa prison. Le territoire inspire aux personnages d’Aub passion, nostalgie, vouloir ou désir de mort. Les œuvres sont des fictions géographiques où, depuis les côtes exotiques de Geografía au Paris pléthorique de Jusep Torres Campalans, des noms de lieu, présents et passés, authentifient la fiction. Un autre aspect de l’œuvre d’Aub, à la lisière de la mort et de l’enfermement, est aussi sous le signe de la géographie. Le bateau San Juan est une prison errante qui emporte les Juifs vers le naufrage final ; la série consacrée aux camps d’internement décline l’oppression et la férocité, et dans les poèmes de Djelfa culmine ce que Bernard Sicot appelle la double poésie de la prison et de l’exil. Au fil de ces deux traumatismes, l’écriture d’Aub dit le confinement de l’intérieur et de l’extérieur. La voix endogène des camps et la voix exogène de l’exil indiquent la volonté de surmonter l’épreuve et de réveiller la conscience et la mémoire du lecteur. L’œuvre d’Aub est un poème du visible –« je suis l’œil »- depuis les barbelés. Humainement géographique, son œuvre dit l’action de l’homme et se fait métaphore du monde pour mieux l'atteindre.
Max Aub a su que la reconnaissance de son œuvre dans d’autres lieux et d’autres langues que la sienne était la condition de la reconnaissance d’une culture et d’une histoire espagnoles. La crise du modèle culturel qui a mené à l’extermination incite Aub à voir dans le Mexique une patrie universelle, sans cesser de lutter pour une reconnaissance européenne.
Pour qui écrivons-nous ? se demandait Francisco Ayala en 1949 depuis Buenos Aires, comme si l’exil changeait l’horizon de l’écriture. De quel lieu pouvons-nous lire aujourd’hui Max Aub, et vers quelles autres langues et littératures évolue son œuvre ? Elle est imprégnée de valeurs internationales comme l’amitié par-dessus les différends politiques ou idéologiques et la liberté, l’égalité, la fraternité, valeurs de la tradition républicaine et socialiste. « On peut toujours faire quelque chose », une des phrases les plus caractéristiques de Max Aub, est bien loin du constat d’échec fait, selon Th.V. Adorno, par les créateurs après Auschwitz. Il importe de revoir la place de Max Aub au sein d’une génération d’écrivains européens nés au début du XXème siècle et qui, après avoir été témoins ou acteurs de la guerre mondiale, n’acceptent pas le déclin historique de la littérature.
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