Dans l’état des lieux de la littérature contemporaine, on a déjà souvent noté, depuis les années 80, un retour au sujet comme au réel (un sujet parfois en proie à des « crises d’irréalité » et non pas « d’identité » : « non pas qui je suis, mais si j’existe » s’interroge O. García Valdés). On a également relevé combien les écrivain-es s’attachaient aujourd’hui à explorer la question du corps social, se préoccupaient de décrypter, de manière d’ailleurs souvent lucide et critique, les réalités historiques, politiques, économiques…, du monde actuel, sa consistance profonde, ses aliénations, violences, errances ou impensés, sa commune désolation mais aussi ses rêves ou ses « avancées » utopiques.
La poésie n’a pas, elle non plus, « délaissé le champ du politique » (J.-C. Bailly) au sens large du terme, et l’ethos du témoin « questionnant toutes les faces du vivre » « à distance du bavardage comme du mensonge » (A. Emaz) s’avère être l’une des postures majeures d’un grand nombre de poètes contemporains.
Ainsi, loin de toute logique strictement référentielle, hors pathos ou empiègement dans l’individuel, loin d’une certaine imagerie romantique reléguant la poésie dans sa tour d’ivoire et loin également de « l’universel reportage », nous voudrions ici nous demander quels regards la poésie (depuis les années 80) porte-t-elle sur les réalités sociales, économiques, culturelles, existentielles …, d’aujourd’hui, et comment son écriture s’articule-t-elle à l’Histoire sans jamais s’y assujettir. En ce sens, I. Pérez Montalbán nous parle de la nécessité pour la poésie actuelle d’un « engagement critique », en gardant à l’esprit ce qu’elle appelle « le référent de la réalité » sans que cela n’oblige le poète « à un réalisme dans son résultat final » mais que ce dernier trouve « le chemin de son propre langage esthétique à partir du réel » (article datant du 4 octobre 2012 et publié sur son blog).
Quelles capacités critiques, quelles réflexions politiques et éthiques, quelles pratiques scripturales, quels modes lyriques, quelles postures (« engagement », « responsabilité », retrait, selon quelles axiologies…) et exigences créent cette constante confrontation aux violences ordinaires de l’actualité, ces expériences de notre temps d’ « exterminisme généralisé » (B. Ogilvié) ?
Bref, entre « exercice de lucidité » (A. Emaz) et vœu de résonance (la voix poétique de María Elena Cruz Varela n’a de cesse de « lancer des pierres », « peut-être trouveront-elles un écho » nous dit-elle dans El Angel agotado), entre vigilance exploratoire, questionnement éthique et enjeux esthétiques, comment le lyrisme de certain-es poètes-ses attentifs à l’expérience commune, banale, de l’ici-maintenant, à « la rumeur (du monde et de l’histoire) qui se prend » (V. Rouzeau) dans leurs textes, comment ce lyrisme donne-t-il à voir, lire, déchiffrer et comprendre « les bruits du temps » et le vécu d’aujourd’hui, comment parvient-il à penser situations , conditions et réalités contemporaines?
Ainsi, attentifs au sort commun, aux habitus et parlers du corps social et du corps intime comme à l’expérience contingente de l’existence de chacun, auscultant tout « notre exercice de vivre » (selon la formule de Montaigne citée en exemple par L. Gaspar), quels types d’intelligibilité du réel, quelles capacités d’élucidation les poètes-ses proposent-ils/elles aujourd’hui? Plus précisément même, si l’on s’en réfère aux précieuses analyses de J.-C. Pinson, quelle est « la force spéculative propre de la poésie », quelle « valeur existentielle » lui accorder, quelle « vertu ethopoïétique » et quel « principe général d’éthique » (Monchoachi) lui octroyer, quel « tranchant de clarté » (Monchoachi) ou de puissance de dévoilement lui reconnaître?
Etant donné le sujet du colloque, il nous a paru absolument nécessaire d’ouvrir la réflexion à des auteur-es caribéen-nes d’envergure, mais encore trop peu connu-es, tels Monchoachi et María Elena Cruz Varela.
Le colloque portant sur deux aires linguistiques (française et espagnole), nous souhaitons, pour préserver la cohérence du propos, limiter les communications à des interventions « théoriques » et/ou centrées sur des analyses d’œuvres d’auteur-es proposé-es par les organisatrices du colloque.
Pour l’aire « francophone »: Antoine Emaz, Valérie Rouzeau, Monchoachi
Pour l’aire « hispanophone »: Olvido García Valdés, Isabel Pérez Montalbán, María Elena Cruz Varela
Le colloque se déroulera à l’Université de Saint-Étienne le jeudi 11 et le vendredi 12 décembre 2014. Date limite d’envoi des propositions : le 30 janvier 2014 (Réponse en février 2014).
Les propositions comporteront un titre, un résumé d’environ une page et seront accompagnées d’une brève fiche biographique. Aucune approche critique (stylistique, sociologique, philosophique…) n’est exclue. Les contributions pourront prendre la forme de réflexions théoriques ou d’analyses d’une ou plusieurs des œuvres retenues et même mêler les aires géographiques ou linguistiques selon une perspective comparatiste.
Les propositions sont à envoyer conjointement à : Béatrice Bonhomme : , Idoli Castro : , Évelyne Lloze :
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