Appel à communications : « Entre sphère privée et sphère publique : empêchement et visibilisation des femmes au cours des XXème et XXIème siècles dans le monde hispanique » |
|
|||||
|
||||||
Appel à communication pour le colloque « Entre sphère privée et sphère publique : Empêchement et visibilisation des femmes au cours des XXème et XXIème siècles »
Colloque de l’unité de recherche ILCEA4 - Université Grenoble Alpes
Organisé par le CERHIS (Centre d'études et de recherches des hispanistes)
13 - 14 mars 2025
Bien que l'idée selon laquelle les femmes pourraient être désignées comme les grandes oubliées ou invisibilisées de l’Histoire ressemble à un poncif, de nombreux ouvrages publiés récemment (COLLECTIF GEORGETTE SAND, 2019 ; DOMENECH, 2019 ; LECOQ, 2023 ; RAMOS ROVI, CALERO VAQUERA, GARCÍA RAMOS, 2023) rappellent la pertinence et l’actualité du questionnement autour de l’évincement des femmes des champs culturels, politiques, historiques ou linguistiques. Les contre-exemples servent à rappeler le souvenir de ces personnes, de faits et d'œuvres ignorés, tombés dans un oubli souvent provoqué volontairement. Ce bannissement renvoie à des caractéristiques ou des accomplissements non conformes au modèle hégémonique. Il existe donc des points aveugles, invisibles, cachés ou dissimulés qui nécessitent réflexion. Ce colloque propose de revenir sur les processus d’empêchement et de visibilisation des femmes, lorsqu’il s’est agi de passer de la sphère privée à la sphère publique, dans les domaines de l’histoire, les arts, la politique, la linguistique. Sous quelles modalités cette tension s’est-elle exprimée ? Comment les femmes se sont-elles emparées de cette tension pour la dépasser ou la subvertir ?
Cette manifestation scientifique s'inscrit plus largement dans la continuité des travaux de chercheuses telles que Julie Abbou (linguistique), Fabienne Dumont (histoire de l’art), Cristina Domenech (histoire), Verónica Gago (sciences sociales), Karine Bergès (histoire et culture) et María José Ramos Rovi (politique). Elle se concentre sur les XXème et XXIème siècles et s'adresse aux hispanistes. Tous les chercheurs et chercheuses d’horizons diversifiés sont invités à nourrir une réflexion qui se veut avant tout interdisciplinaire et transversale.
La femme étant ce « sexe impensable » évoqué par Luce Irigaray (IRIGARAY, 1977), simple pilier d’une économie totalement masculine, il semble tout naturel que la seule Histoire possible soit celle vécue et écrite par les hommes. Elle revêt alors l’apparence de l’universel et justifie par la même occasion l’absence de l’expérience féminine de la scène publique, ou bien la réduction à une image toujours biaisée par le prisme masculin. L’omniprésence du male gaze provoque ainsi la mise en place de modèles normatifs qui régissent et hiérarchisent les différentes incarnations du féminin. S’ensuit une répartition genrée des rôles de chacun de manière tout à fait binaire et réductrice, comme l’analyse Judith Butler (BUTLER, 2006). Le genre est donc éminemment normatif et exclusif, dans la mesure où il se transforme en outil de marginalisation. Une répartition des rôles stéréotypée est en effet visible dans de multiples domaines : de l’Histoire, en passant par les arts et la littérature, et ce jusqu’à la politique.
Par ailleurs, alors que les femmes ont progressivement conquis des droits liés à la représentation institutionnelle dans les démocraties occidentales, tout au long du XXème siècle, leur présence sur la scène politique est restée marginale pendant très longtemps, conditionnée aux aléas de l’histoire et parfois totalement annulée lors de périodes dictatoriales. La représentation institutionnelle s’est donc construite au masculin, en particulier dans les lieux de pouvoir devenus les symboles de la démocratie comme les parlements. L’héritage de la pensée occidentale, qui est venu consacrer l’usage de la raison, a par ailleurs ancré l’idée que les émotions étaient néfastes à l’organisation des sociétés. Il n’y avait alors qu’un pas à franchir pour disqualifier totalement la présence des femmes en politique, en affirmant qu’elles étaient trop soumises à leurs émotions et aux emballements des affects pour penser les questions de société et la citoyenneté : la portée de leurs actions ne devait pas dépasser la sphère privée.
Face au constat de l’hégémonie masculine, des voix féminines finissent par s’élever et revendiquer la partie amputée de l’Histoire. C’est alors que se pose la question d’une possible prise de parole de la part des femmes : comment accéder à la visibilité dans une société régie par le masculin ? Cet axe propose d’interroger les possibles voies de représentation des femmes dans les arts, la littérature ou encore la politique. La prise de parole féminine semble devoir s’immiscer dans les failles d’un système de représentations dont elles sont parfois encore exclues et qui les empêche d’accéder à un espace propre.
Les stratégies de réappropriation de la parole sont multiples et enracinées dans des contextes historiques et idéologiques en constante évolution. Dans une société qui a souvent été incapable d’envisager les femmes autrement que comme des êtres subalternes, le travestissement de soi a été l’une des façons d’accéder à la parole. Le pseudonyme masculin a pu être pour de nombreuses écrivaines la condition d’avènement en tant qu’autrices, et par la même occasion, de l’accès à une triste renommée condamnée – pour un temps seulement – au secret. Les femmes ont été, par ailleurs, écartées des grands récits idéologiques qui ont dominé une large partie du XXème siècle. Elles ont ainsi été cantonnées à un rôle purement domestique, par exemple, dans les idéologies d’extrême-droite, mais aussi reléguées au second plan par rapport à la question ouvrière dans les idéologies issues de la pensée marxiste.
Il en a résulté une absence ou une faible présence dans les structures partisanes, à plus forte raison au sein de leurs directions. Toutefois, elles ont cherché des voies d’expression alternatives, dans diverses mobilisations sociales ou à travers les Asociaciones de Vecinos, en Espagne, pour accéder à une forme de représentation politique. Des mobilisations sociales plus récentes, comme la grève des soins (« cuidados ») du 8 mars 2018, ont aussi montré la capacité des femmes à occuper l’espace public et à faire entendre leurs revendications dans la rue.
Aujourd’hui, l’heure n’est plus à la parole camouflée mais à la prise de parole féministe, dont les manifestations sont aussi diverses que les contextes, ancrages géographiques et milieux sociologiques. Il est nécessaire de situer historiquement ce bouleversement des normes de genre après le mouvement « #MeToo », en 2018, qui a laissé la place à une nouvelle ère, celle du « post #MeToo ». Ces événements pourraient signifier un point de non-retour dans la lutte pour le surgissement et la prise en compte de la parole féminine. Il s’agit donc d’étudier qui sont les fauteurs – fauteuses – de trouble qui viennent bouleverser le carcan du genre au sein de multiples disciplines dont la mise en perspective fait jaillir un mouvement collectif.
De la performance de la féminité de Rosalía, à son travestissement dans un domaine aussi codifié que celui du flamenco au sein du groupe Flamenco Queer, en passant par la prise de possession du reggaeton par des chanteuses telles que Rebecca Lane au Guatemala ou Chocolate Remix en Argentine, il est question d’étudier les modalités de la réappropriation du discours par des voix féminines. En littérature par ailleurs, une véritable communauté d’autrices a surgi, incarnée par des figures telles que Marta Sanz, Laura Freixas, Elvira Lindo, ou Natalia Carrero. Mais les femmes ont aussi tissé, au fil des ans, leur légitimité à incarner les demandes exprimées par leurs concitoyens, malgré un accès très empêché aux lieux de pouvoir et aux cercles d’influence. Aujourd’hui, leur présence s’est faite plus visible dans les lieux de représentation du peuple. En 2018, le gouvernement espagnol de Pedro Sánchez a compté, pour la première fois, plus de femmes que d’hommes dans son équipe ministérielle. Elles ont également conquis le statut de leaders (« lideresas ») politiques, comme cela a été manifeste, avec Manuela Carmena et Ada Colau, qui se sont aussi fait remarquer par une iconographie renouvelée dans l’espace public (affiches sur les façades des mairies, street art pour dénoncer la violence machiste). Cette dimension ne se limite pas à l’Espagne. Plusieurs artistes de street art chiliennes, par exemple, ont aussi montré leur volonté de participer à la féminisation des institutions en plaidant pour une nouvelle Constitution en 2022. La parole féministe est également envisagée par certaines personnalités comme une réponse transversale aux crises sociales de la dernière décennie, permettant de dépasser les clivages idéologiques, comme en Espagne avec la juriste et femme politique Eugenia Rodríguez Palop qui plaide ainsi pour un « féminisme du 99% ».
Or, les réactions de rejet face à cette occupation symbolique de l’espace public n’ont pas tardé, que ce soit à travers des actes de vandalisme ou que cela passe par l’interdiction des affiches et autres symboles féministes sur les façades des mairies dirigées par le PP et Vox depuis les élections municipales de mai 2023. Aujourd’hui, les politiques visant à promouvoir l’égalité hommes-femmes souffrent d’un certain rejet de la population (mouvance Incel, masculinisme). De surcroît, la disqualification de la parole féministe au moyen de « mots-poisons » comme « feminazi », l’étiquette du « falso feminismo », ou encore les attaques antiféministes du président argentin Javier Milei, traduisent cette même volonté de disqualifier la parole féministe.
Étudier les mécanismes linguistiques offre l’occasion de revenir sur la « vague de masculinisation » (Bernard Cerquiglini) qu’a connue le langage afin d’effacer le féminin et faire du masculin un genre noble, neutre et universel. Face à cette manipulation, des alternatives surgissent pour redonner une visibilité au féminin en s’émancipant de la langue de « l’oppresseur ». Nous assistons à une réinvention de la langue suscitant des débats tant chez les spécialistes que les utilisateurs et utilisatrices du langage, avec l’introduction de formes neutres comme « hijo, hija, hije » en espagnol et la féminisation de mots exclusivement masculins (comandante/comandanta, portavoz/portavoza).
Il faut aussi noter qu’il existe une ambiguïté lexicale dans le mot « genre », puisque ce que la grammaire définit comme féminin et masculin ne correspond pas au concept de « sexe social » introduit par les gender studies. Malgré les apparentes contradictions entre ces deux champs disciplinaires, tant Joan Scott que Judith Butler récupèrent la catégorie grammaticale pour ouvrir des pistes, subvertir des identités traditionnelles de sexe et de genre. En effet, la notion linguistique possède une performativité qu’il est impossible de nier tant ses effets sont concrets dans le quotidien. Par exemple, les métiers du care sont nommés exclusivement au féminin et les professions de pouvoir au masculin, introduisant un inconfort sémantique pour les locuteurs et locutrices lors d’une prise de parole. Les pratiques grammaticales sont intégrées dans les rapports sociaux dès la plus tendre enfance à l’école : le masculin l’emporte sur le féminin. Les imaginaires mentaux sont ainsi conditionnés par l’apprentissage du discours dominant et de ses biais idéologiques. Malgré le caractère normatif de la grammaire qui tend à être parfois immuable sous la plume des académiciens (ne dit-on pas que l’espagnol est la « langue de Cervantes »), les propositions abondent pour faire changer les normes et les faire correspondre aux nouvelles réalités sociales.
Cette proposition de colloque est ouverte. Les questions évoquées ici n’ont qu’une valeur indicative et n’ont d’autre but que de montrer la richesse potentielle du champ de recherche.
Bibliographie indicative
ABBOU Julie, Tenir sa langue. Le langage, lieu de lutte féministe, Paris, Les Pérégrines, 2022.
AMOSSY Ruth, La présentation de soi, Ethos et identité verbale, Paris, Presses universitaires de France, 2010.
BARTHES, Roland, Mythologies, Paris, Seuil, 1957.
BERGÈS, Karine (dir.), BINARD Florence (dir.), GUYARD-NEDELEC Alexandrine (dir). Féminismes du XXIe siècle : une troisième vague?, PUR, 2017.
BUTLER Judith, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, Cynthia Kraus (trad.), Paris, La Découverte, 2006.
CALERO VAQUERA, María Luisa, GARCÍA RAMOS, María Dolores, RAMOS ROVI, María José, Mujeres y política. Visiones interculturales desde la historia, el arte y la lingüística, Grenade, Comares, 2023.
COLLECTIF GEORGETTE SAND, Ni vues ni connues, Paris, Pocket, 2019.
COULOMB-GULLY, Marlène, Sexisme sur la voix publique, Paris, Éditions de l’Aube, 2022.
DOMENECH, Cristina, Señoras que se empotraron hace mucho, Barcelone, Ediciones B, 2019.
FERNÁNDEZ GARCÍA, Alicia. « Femmes et politique dans l’Espagne du temps présent : représentation politique des Espagnoles et féminisme à Madrid et Barcelone », Tropics [En ligne], n°8, 2021, mis en ligne le 01 juillet 2021, consulté le 06 janvier 2024. URL : https://tropics.univ-reunion.fr/1482.
GARCÍA, Manon, On ne naît pas soumise, on le devient, Paris, Flammarion, 2018.
IRIGARAY, Luce, Ce sexe qui n’en est pas un, Paris, Éditions de Minuit, 1977.
JAREÑO, Claudia et SANZ-GAVILLON, Anne-Claire (Éds.), Otras miradas. Voces y formas de la creación feminista desde los años 60 en el Estado español, Barcelona, Edicions Bellaterra, 2021.
LECOQ, Titiou, Les Grandes Oubliées - Pourquoi l'Histoire a effacé les femmes, Paris, L'Iconoclaste et Les Arènes, 2023.
MARCUS, George E., Le citoyen sentimental : émotions et politique en démocratie, Bruno Poncharal (trad.), Paris, Les presses de Sciences Po, 2008.
MARTIGNY, Vincent, Le Retour du Prince, Paris, Flammarion, 2019.
RODRÍGUEZ PALOP, María Eugenia, Revolución feminista y políticas de lo común frente a la extrema derecha, Barcelona, Icaria, 2019.
Modalités et calendrier de candidature
Les propositions d’interventions, comportant un résumé de maximum cinq cents mots, sont à envoyer avant le 30 novembre 2024 à Charlotte Blanchard, Emma Chenna et Anaïs Hollard. Merci d’indiquer vos nom(s), prénom, coordonnées électroniques et votre organisme de rattachement, ainsi qu’une liste de 5 mots-clés accompagnée d’une brève notice bio-bibliographique. Le comité d’organisation et le comité scientifique se prononceront sur les propositions au plus tard le 10 janvier 2025.
Comité d'organisation
Charlotte Blanchard :
Emma Chenna :
Anaïs Hollard :
Comité scientifique
Virginie N’Dah Sekou, Université Paris Est Créteil
Sabrina Grillo, Université Paris Est Créteil
Paola García, Université Paris 8
Géraldine Galeote, Université de Pau
Catherine Saupin, Sciences po Lille
Karine Bergès, Université Paris Est Créteil
Catherine Orsini-Saillet, Université Grenoble-Alpes
Autres informations importantes
Lieu : Université Grenoble Alpes.
Date : 13 / 14 mars 2025
Format : présentiel
Langue de travail : français et espagnol
Mots-clés : Femmes – Genre – Hispanisme - Dissidences - Représentations
Une possible publication pourra être envisagée à la suite du colloque.
Une exposition de photos de Street art (Espagne, Chili) est envisagée en parallèle de la tenue du colloque.
|
||||||
Lieu Université Grenoble Alpes - MSH Alpes | ||||||
Contact | ||||||