Appel à communication
Entre le corps et l’esprit : les Larmes. 14-15 novembre 2024. Le Mans Université (France)
Colloque organisé par Cécile Bertin-Elisabeth (EHIC, Université de Limoges), Florence Dumora (3LAM, Le Mans université) et Christine Orobitg (TELEMMe Aix MarseilleUniversité)
« Les paroles, que sont-elles ? Une larme en dira plus », ainsi Franz Schubert fait-il « l’éloge des larmes ». S’il est d’usage de considérer que les larmes, de même que le rire, sont une expression proprement humaine, leurs significations et leurs enjeux dépendent toutefois de la part attribuée à l’affectivité ou à l’intellect, entre approche cynique et stoïcienne notamment. C’est pourquoi Baltasar Gracián dans L’honnête homme nous invite à dépasser l’apparente dichotomie de deux modèles topiques récurrents, annonciateurs en quelque sorte de Jean qui rit et Jean qui pleure : « on ne doit pas toujours rire avec Héraclite ni toujours pleurer avec Démocrite ». À la différence du rire qui fuse de façon impalpable, les larmes qui s’écoulent sont concrètes. Elles ont de surcroît la transparence de l’eau et la forme de perles. Picasso choisira d’ailleurs de représenter des yeux en forme de larmes. Car les larmes qui s’écoulent parlent un langage que d’aucuns interprètent différemment selon les époques et les codes sociétaux. Roland Barthes invite en tous les cas à questionner la puissance originelle des larmes lorsqu’il écrit qu’elles sont « le milieu liquide de l’expansion cordiale dont on sait qu’elle n’est rien d’autre que la véritable force génitrice ». En effet, de quel secret ce signe visible est-il le révélateur ? Faut-il y déceler une force ou une faiblesse et n’y voir qu’une simple expression de passions et de compassions ? Quelle est en somme la part du corps, de l’esprit et de la culture dans lespleurs ? Car les larmes, comme l’écrit Jean Loup Charvet, sont chargées d’« une éloquence où les yeux se font bouche » et véhiculent dès lors des formes de discours, entre douleur, rage et joie, résilience et résistance.Le paradoxe de la larme, révélatrice à la fois de l’intime et de conventions sociales, mérite donc d’être questionné, et ce quelles que soient les époques et les approches considérées. On ne saurait éluder les dimensions physiologiques et psychanalytiques du liquide lacrymal. Jacques Lacan soutient d’ailleurs que « quand le corps est supposé penser secret, il a des sécrétions ». Avant l’approche du corps pulsionnel par Freud, Empédocle (Ve siècle av. J. C.) considérait que du fait de la perturbation des passions de l’âme, le sang se transformait en larmes. Plus tard, les théories hippocratiques et cérébro-centriques prétendirent que les larmes étaient liées aucerveau, soit comme production cérébrale soit comme humeur. Le XVIIIe siècle, avec l’introduction de la sensibilité, repensera les pleurs et la poétique des larmes. Le XIXe siècle scindera quant à lui émotions féminines et masculines jusqu’à opposer larme et virilité et déboucher sur une mare de larmes (« Pool of tears ») chez la jeune Alice de Lewis Caroll. Il n’empêche que si les larmes sont souvent associées au féminin, nombreux sont les héros épiques – Ulysse, Achille, le Cid… – qui versent d’abondants pleurs. On pense également à la douleur d’un roi déchu, comme Boabdil perdant Grenade, au chagrin d’un père, Pleberio, confronté au suicide de sa fille, dans la Celestina ou à l’injonction du roi Richard II, – « faisons de la poussière notre papier, et de nos yeux qui pleuvent, écrivons la tristesse sur le sein de laterre »–, à la « voie humide » évoquée par le cousin du protagoniste éponyme Lucien Leuwende Stendhal ou à l’interdiction de pleurer du poème de John Donne, « A Valediction: ofWeeping », aux Souffrances du jeune Werther de Goethe ou encore au désespoir amoureux misen exergue dans Die bitteren Tränen der Petra von Kant (Les larmes amères de Petra von Kant)de Rainer Fassbinder. Au XXe siècle, les anthropologues étudient les origines et les fonctions des rites piaculaires significativement présents dans diverses cultures et religions. Les pleureuses, les larmes duChrist, des saints et saintes y renvoient dans tous les types de représentations. Marie-Madeleine, Jérémie, entre péché et grâce, pleurent, parlant ainsi aux chrétiens. D’ailleurs les larmes dessinent une verticalité entre le ciel et la terre, tout en extériorisant le feu des douleurs physiques et morales, individuelles ou collectives, et dès lors participent de la symbolique des quatre éléments. On ne saurait oublier également la nature labile des larmes qui peuvent devenir sang. Langage et métalangage du corps et de l’esprit, entre visible et invisible, les larmes par nature non verbales, et cathartiques, conventionnelles ou manipulatrices, sont assurément à l’origine d’une riche phraséologie : « pleurer à chaudes larmes », « pleurer de rire », « pleurer d’un oeil »,« les larmes de crocodiles » ou « lágrimas de cocodrilo », « llorar a lágrima viva », « las lágrimas de san Lorenzo », « to cry crocodile tears », « to be bored to tears », « blood, sweatand tears », « in floods of tears » ; Jemanden zu Tränen rühren, den Tränen nahe, bittere Tränenweinen, etwas unter Tränen gestehen, ihm/ihr kommen die Tränen. Par ailleurs, on peut parler du développement de modèles larmoyants en littérature et en iconographie, véhiculés par des genres, planctus, élégie, épitaphe, tragédie, par exemple, et par des topoï textuels et gestuels ou encore par des procédés rhétoriques. On pense, entre autres, aux divers échos intertextuels depuis la vallée des larmes (Lacrymarum valle) dans la Bible jusqu’aux représentations diversifiées de la mater dolorosa. Il conviendra d’interroger la structuration de ces modèles, entre valorisation et dépréciation des larmes, dans divers pays d’Europe et d’Amérique, de l’Antiquité à nos jours.
Ce colloque transdisciplinaire invite donc à réfléchir, soit en synchronie, soit en diachronie, que ce soit par des approches linguistiques, littéraires, iconographiques, cinématographiques,musicologiques, anthropologiques ou psychanalytiques, sur les perceptions et lesreprésentations des larmes, notamment à partir des axes suivants :
- Le sexe des larmes
- Code(s) et modèle(s) larmoyant(s)
- Les larmes/arme individuelle ou collective
- Les larmes dans l’histoire de la sensibilité
- Rires et larmes
- Larmes et sang
- Le(s) langage(s) des larmes
- Larmes et mises en scène
- Les écritures et réécritures des larmes
Les propositions de communication (entre 5 et 10 lignes), accompagnées d’un titre et d’unecourte présentation biobliographique (avec rattachement institutionnel et coordonnées), sont à envoyer à à et à au plus tard le 15 mars 2024. Une réponse sera donnée en mai 2024. Des frais d’inscription seront demandés à hauteur de 30€ pour la prise en charge des repas.
Comité organisateur : Cécile Elisabeth-Bertin, Florence Dumora et Christine Orobitg
Comité scientifique : Damien Boquet, (Historien) Aix Marseille Université, TELEMMe; Carmen Cortes Zaborras, Littérature française, Université de Málaga (Espagne); Anne Coudreuse (Lettres Modernes), Université Paris 13, Pléiade; Christophe Couderc (Hispaniste), Nanterre Université; Dominique Berthet (Arts plastiques, esthétique), Université des Antilles, CRILLASH; Cécile Iglesias (Hispaniste), Université de Bourgogne, TIL; Nicolas Darbon (Musicologie), Université d’Aix-Marseille, CRILLASH; Nathalie Leprince (Lettres, philosophie) Le Mans Université, 3LAM; Encarnación Medina Arjona, Littérature française, Université de Jaén (Espagne); Corinne Mencé-Caster (Linguistique, Moyen-Âge), Sorbonne-Université, RELIR; Nathalie Martinière (Angliciste), Université de Limoges, EHICSandrine Persyn (Germaniste) Le Mans Université, 3LAM; Odile Richard (Lettres Modernes), Université de Limoges, EHIC; Laetitia Tabard (Lettres), Le Mans Université, 3LAM.
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