Robert Basterra
 
Robert Basterra, Inspecteur général d’espagnol honoraire, est décédé le 29 janvier 2020. Il avait atteint quelques jour plus tôt l’âge de 90 ans.
Né à Gan, au pied des Pyrénées, il devint professeur d’espagnol certifié en 1957, puis agrégé en 1960. Nommé Inspecteur pédagogique régional en 1967, il fut successivement affecté dans l’académie de Bordeaux, dans celle de Nantes en 1970 et enfin à Paris en 1972. En 1978, il fut nommé Inspecteur général.
Mais il faut aller au-delà de ces repères administratifs pour mesurer l’importance de son rôle dans l’histoire de la discipline.
Caminos del idioma, collection lancée en 1987, a profondément et durablement marqué toute une génération de professeurs d’espagnol du second degré. Sous sa direction, ces manuels engagèrent une véritable refondation de l’enseignement de la discipline au moment même où les effectifs des élèves entamaient une progression sans précédent. Le succès auprès des enseignants devait se poursuivre avec la collection Gran Vía en 1992, qui approfondissait et enrichissait la perspective ouverte.
Pour la résumer d’un mot, il s’agissait de la recherche exigeante et sans exclusion de l’authenticité. Tout d’abord en reconnaissant que la langue n’est pas seulement porteuse de culture, mais qu’elle est elle-même culture aux multiples facettes. On ne dit que si l’on a à dire. Aussi la communication n’était jamais envisagée comme un exercice purement formel et désincarné. Il fallait établir un véritable contact avec des documents directement issus des réalités hispaniques de toutes époques et de tous lieux. Pages de littérature, articles de journaux, œuvres picturales, publicités, photographies de qualité, séquences télévisées ou filmiques. La perception intelligente et émotionnelle donnait sens à la prise de parole. Des champs nouveaux s’offraient ainsi à la découverte. Insistons en particulier sur la place accordée au cinéma qui devait par la suite faire l’objet d’une épreuve au CAPES. Les cassettes consacrées au film de Luis Buñuel Los olvidados en 1991, puis à celui de Víctor Erice El Sur en 1992 complétaient les manuels. Cette recherche d’une parole authentique en classe d’espagnol était soutenue par des livres du professeur denses, écrits en espagnol et qui liaient étroitement connaissance et pédagogie. On ne peut donner à voir et à comprendre que ce que l’on a compris soi-même, telle était l’ambitieuse devise.
Nul doute que cette approche qui invitait à la découverte a contribué à redéfinir la fonction des professeurs d’espagnol et à l’essor de la discipline.
Intransigeant, Robert Basterra se sentait investi d’une mission. Cela conduisit à une fin de carrière dramatique. En 1989, il présidait le jury du CAPES qui, estimant que nombre de candidats n’avaient pas un niveau suffisant, prit la décision de ne pourvoir que 245 des 488 postes mis au concours. Le heurt avec l’autorité de tutelle, qui avait choisi d’augmenter considérablement le nombre de places offertes, était inéluctable. Le 4 septembre, Lionel Jospin, Ministre de l’Éducation nationale à l’époque, déclara à une heure de grande écoute dans l’émission télévisée L’Heure de Vérité qu’il « n'arrivait pas à croire que, en France, des centaines de jeunes passés dans nos universités n'aient pas le niveau minimum en espagnol pour enseigner à nos élèves dans les lycées ». Le verdict était sans appel. De quel côté se trouvait la raison ? Les faits sont là et la question n’a plus sens, mais Robert Basterra, désavoué, mit fin à sa carrière et prit sa retraite dès le mois de janvier 1990.
Un mot sur la personne, pour finir. Robert Basterra pouvait certes être tranchant ; mais je ne compte pas les fois où constatant nos divergences sur un sujet décisif, il m’avait incité à « ferrailler », le terme était le sien, pour essayer de le convaincre de revenir sur son premier jugement. Ce qui s’est produit à plus d’une reprise. C’était un homme d’honneur.
Lauro Capdevila