Hommage à Simone Saillard
Avec Simone Saillard, professeur émérite, c'est une grande figure de l'Hispanisme français et de l'université Lumière-Lyon 2 qui disparaît le 30 décembre 2020. Dotée de qualités intellectuelles exceptionnelles et d'une capacité de travail peu commune, elle a su mener de front, avec brio, les diverses missions dévolues à l'enseignant-chercheur.
Enseignante inégalée qui a durablement marqué de nombreuses générations d’hispanistes, elle a toujours eu à cœur de participer activement à la modernisation et à l'amélioration du système universitaire tout au long de sa carrière, n'hésitant jamais à assumer les responsabilités administratives les plus ardues, toujours motivée par le souci du bien commun et avec une vision internationale affirmée.
Il ne saurait être question ici de présenter le riche itinéraire de Simone Saillard mais de rappeler les principales étapes qui jalonnent sa carrière. A partir de ses origines en pays albigeois, de sa jeunesse dans les années noires qui la vaccinent contre l’injustice, elle entreprend un parcours de formation qui la conduit du Sud-Ouest à l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud puis, après l’obtention de l’agrégation, à Vigo, où elle entreprend ses recherches sur Valle-Inclán.
Son retour à Paris ouvre alors la voie à une carrière universitaire prestigieuse soudain fixée à Lyon en 1963, pour développer la section d’Espagnol à la Faculté des Lettres. Au sein de l’institution, son parcours empruntera les voies multiples qui s’offrent à un esprit ouvert et à un regard critique. En 1969, elle est l’un des acteurs de la fondation de l’université Lyon 2. Elue Directrice du nouveau Département du Monde méditerranéen, elle accueille le Congrès des Hispanistes et participe aux jurys d’agrégation. C’est au cours de ces années que s’affirme son engagement citoyen. Elle apportera un soutien constant au développement du portugais et des enseignements de brésilien (création de l’Institut d’Etudes brésiliennes, accords internationaux), elle participera à la restauration de l’italien dans le nouveau Lyon 2 et à la sauvegarde de l’hébreu et elle s’attachera à promouvoir le catalan. Dans le cadre d’une vision à long terme et à partir de son poste de Vice-Présidente de l’université au milieu des années 80, elle s’engage dans des accords qui unissent Lyon 2 à de nombreuses universités étrangères : São Paulo, Saragosse et surtout Barcelone lorsqu’elle implique personnellement la Generalitat et que les accords culminent avec le programme international MINERVE (Mobilité des institutions d'enseignement et de recherche en vue d'un espace éducatif européen) qui associe Lyon 2 à l’université de Barcelone et à celle de Francfort dans un projet inédit en France, avec la création d’une antenne permanente de ces universités au Bâtiment Europe, situé sur le campus de Bron-Parilly. Ce rôle d’impulsion a été déterminant et les autorités espagnoles lui ont témoigné leur gratitude en lui décernant la Croix d’Isabel la Cátolica en 1997. Elle est également à l’origine de la création du Centre de Langues en 1994 dont elle sera la première directrice.
Par son esprit visionnaire et sa capacité à s’investir pour ouvrir de nouvelles voies, elle offre l’image la plus complète de l’universitaire : être disponible et ouverte à tous et à chacun, se donner pleinement à la formation des étudiants, stimuler l’enthousiasme du chercheur, mettre son dynamisme, son exigence et sa force de proposition au service de l’université et de la collectivité en général.
Toutes ces expériences l’ancrent dans son rôle d’enseignant-chercheur, associant l’enseignement à une réflexion approfondie, notamment par sa collaboration à la version scénique inédite de Así que pasen cinco años de Federico García Lorca (montée par le théâtre universitaire en 1975), lors du Colloque Lorca/Dalí/Buñuel et la place incontournable du surréalisme en Espagne (1988) ou lors du Congrès de la SHF sur le thème de Image/Imagen (1991) ou du Colloque sur Zola et l’Espagne (1996) ou encore du Colloque sur les Ecrivains latino-américains actuels avec la présence de Jorge Amado. Son esprit d’ouverture peu commun, l’acuité de ses analyses, la fulgurance de ses études critiques lui permettent de passer avec une rare maestria du Cid à la poésie moderne, de Valle-Inclán aux auteurs américains, du théâtre du Siècle d’Or à Antonio Machado, de l’étude du texte à l’intersémiotique, sans oublier la virtuosité de sa maîtrise de La Regenta et de l’ensemble de l’œuvre de Clarín. C’est cette incessante curiosité intellectuelle qui l’a poussée à enrichir l’histoire culturelle par sa réflexion et ses recherches sur la place de la traduction parmi les autres procédures de transfert interculturel, lui permettant de dégager des pistes stimulantes sur les traducteurs en tant que médiateurs culturels et la traduction en tant qu’exercice d’écriture, sur les espaces de production et de réception, notamment sur la diffusion de la littérature médicale en France et en Espagne. C’est grâce à son impulsion – et nous pouvons en témoigner directement – que des enquêtes pionnières ont été menées sur le champ fertile des traductions et des traducteurs au XIXè siècle, entre autres sur les traductions en espagnol de l’œuvre de Zola.
Pour tous ceux qui l'ont côtoyée, Simone Saillard est une personnalité particulièrement attachante par son mélange de force et de sensibilité, de volontarisme et d’affection, d’intelligence et d’action. Elle demeure non seulement une grande universitaire et une grande dame mais aussi le symbole d'un engagement politique constant au service d'une société plus juste et plus humaine, et de l'engagement d'une femme au service des autres femmes, ce qu'elle considérait comme un combat devant être sans cesse renouvelé.
Aujourd'hui, ses anciens étudiants, ses amis et ses collègues, désemparés par la disparition d'un phare, se retrouvent pour lui témoigner leur admiration et leur reconnaissance pour la solide formation qu'elle leur a donnée et l'aide qu'elle leur a toujours fidèlement apportée avec fermeté et bienveillance. Nous continuerons à porter ses valeurs en héritage en les transmettant aussi longtemps que possible.
Principales œuvres de Simone Saillard
- « Le premier conte et le premier roman de Valle-Inclán », Bordeaux, Bulletin hispanique, t. LVIII, n°4, 1955, p. 421-429.
- « De d’Anunzio à Valle-Inclán », Connaissance de Valle-Inclán, Cahiers de la Compagnie Madeleine Renaud-Jean Louis Barrault, n°43, mars 1963, Paris, Julliard, p. 36-44
- « Le dossier universitaire de Clarín Saragosse : documents pour une biographie », Les Langues néo-latines, mars 1963, n° 164.
- « Carta de Arnalte a Lucenda, El Villano en su rincón, Auroras de Moguer, Así que pasen conco años, textes », Introduction à l’étude critique-Textes espagnols, Simone Saillard, Charles Marcilly, André Labertit, Edmond Cros, Paris, Armand Colin, U2, 1972, p.8-74.
- « Louvain, Salamanque, Lyon, Rome –Itinéraire européen d’une controverse, à propos de Sainte Thérèse », Les Catholiques libéraux au XIX siècle, Actes du Congrès d’Histoire religieuse de Grenoble, PUG, 1974, Centre d’Histoire du Catholicisme, n°11, p. 11 3-123.
-Leopoldo Alas collaborateur du journal El Día. Du journalisme au roman, Thèse pour le Doctorat d’Etat, Université Toulouse Le Mirail, 1975, Tome I Du Journalisme au roman, 898 pages ; Tome II Leopoldo Alas collaborateur de El Día, textes p. I-XX et 1-591 ; Tome III Tableau chronologique des publications journalistiques 1881-1884, p.1-129.
- « Pour une nouvelle traduction de Así que pasen cinco años », Organon, n°spécial, CERTC, Lyon 2, 1978, p. 94-124.
- « Lorca, du théâtre de farce au théâtre impossible », Organon, n°spécial, CERTC, Lyon 2, 1978, p.26-34.
- « Chronologie du théâtre de Lorca », Organon, n°spécial, CERTC, Lyon 2, 1978, p.5-19.
- « Pour une histoire de la traduction moderne. A Propos de Travail-Trabajo, Zola-Clarín, 1901 », La traduction, Actes du XXIII Congrès de la SHF, Caen, 1987, PUC, p.35-57.
- « Perlimplín ou le Cocu prodigieux », Hispanística XX, Dijon, 1987, p.19-27
- « La peritonitis de don Víctor y la fiebre histérica de Ana O… », Realismo y naturalismo en España, éd. Yvan Lissorgues, Barcelona, Anthropos, 1988, p. 315-327
- « Renan en Fuentevaqueros o La Vie de Jésus según Federico García Lorca », Lectures actuelles de Federico García Lorca, Madrid, Casa de Velázquez, 1988, p. 65-91.
- « Le Public dans l’oeuvre de Lorca », Le Public, drame en 5 actes et un interlude, texte français de A. Llamas, Théâtre national de la Colline, Actes Sud Papiers, Paris, 1988, p. 13-21.
- « Ana Ozores, de la mystique à l’hystérie », Leopoldo ALas, Clarín. La Regenta, Co-texte, n°18, CERS, Université Paul Valéry, Montpellier, 1989, III, p. 65-131.
- Un figurón político en La Regenta, el misterioso obispo de Nauplia », Actas del X Congreso de la SIH, Barcelona, PPU, 1992, II, p.1459-1473.
- « Lepoldo Ala, Clarín et la préface de Nana », Textures, Cahiers du CEMIA, n°1, Lyon, 1995, p.57-75.
- « La première traduction espagnole de Nana », Les Cahiers naturalistes, n°70, 1996, p. 95-114.
- « Les textes traduits de Zola. Bilan et perspectives de recherche », Zola y España, Actas del Coloquio international de Lyon, septiembre de 1996, éd. S. Saillard & A. Sotelo Vásquez., Barcelona, PUB, p. 99-115.
- « Daudet en España », Actes du Colloque Permanence de Daudet, éd. Colette. Becker, CRITM, Paris X, 1997, p. 265-285.
- « Idealismo, krausismo, positivismo en los traductores españoles de Zola », Pensamiento y literatura en la España del siglo XIX, Homenaje a Yvann Lissorgues, eds. Gonzalo Sobejano e Yvan Lissorgues, Toulouse, PUM, 1998, p. 157-167.
- « Strangulations, égorgements, asphyxie et autres signes amoureux », Le Théâtre de l’impossible de Lorca, El Público, Así que pasen cinco años, coord. M. Ramond, Paris, Ed. du Temps, 1998, p. 203-223.
- « Así que pasen cinco años ou l’avant-Público », Michèle Ramond, Simone Saillard, Le théâtre impossible de Lorca, Paris, Éd. Messène, 1998, p.7-75.
- « El Público, Así que pasen cinco años, un viaje de ida y vuelta », Le Théâtre de l’impossible, Dijon, Hispanística XX, 1999, p.103-117.
- « La primera edición española de Germinal », Prosa y poesía. Homenaje a Gonzalo Sobejano, éd. Jean-François Botrel, Yvan Lissorgues, Christopher Maurer, Leonardo Romero Tobar, Madrid, Gredos, 2001, p. 331-348.
- « La première édition espagnole de Germinal », Les Cahiers naturalistes, n°75, Paris, 2001, p.217-242. [Version augmentée du texte antérieur en espagnol]
- Leopoldo Alas, Clarín, El hambre en Andalucía, edición crítica, estudio preliminar y notas de Simone Saillard, Toulouse, PUM, 2001, p.1-275, Estudio preliminar, 1-140, ilust.I-XV.
- « Leopoldo Alas 1882-1884, el tiempo de La Regenta », Leopoldo Alas catedrático de Zaragoza, ed. Leonardo Romero Tobar, Zaragoza, PUZ, 2002, p.121-143.
- « La littérature médicale dans l’Espagne du XIXe siècle », Les maux du corps, éd. Solange Hibbs, Jacques Ballesté, Toulouse CRIC 21, Lansman, Carnières-Morlanwels, 2002, p.59-80.
- « Clarín y Europa », Clarín cien años después. Un clásico contemporáneo, comisarios: Enrique Camacho, Yvan Lissorgues, Arturo Gamoneda, Mardrid, Instituto Cervantes, 2002, p.227-236.
- « Leopolodo Alas, katheder socialista desde Ihering hasta Trabajo, pasando por Teresa », Leopolodo Alas un clásico contemporáneo 1901-2001, Oviedo, Universidad, 2002, t.II, p.555-575.
- « El (primer) día del Marqués de Riscal (1858-1859) », Prensa, impresos, lectura en el mundo hispánico, Homenaje a Jean-François Botrel, éd. J-M Desvois, Université Michel de Montaigne-Bordeaux3, 2005, p.347-362.
- « La traducción como instrumento de lobbying político : textos traducidos del Marqués de Riscal en la Revue des Deux-Mondes (1876-1880) », Traducción y traductores, del romanticismo al realismo, eds. F. Lafarga, L. Pegenaute, Berna, Peter Lang, 2006, p.419-433.
- « Traductions-adaptations contemporaines de L’Assommoir de Zola pour le théâtre madrilène et barcelonais », Traduction, adaptation,réécriture dans le monde hispanique contemporain, XXXII° Congrès de la SHF, Toulouse, éd. S.Hibbs, M.Martinez, PUM, 2006,p.427-441.
- « Traduction et réception de La Terre en Espagne (1887-1894) », Les Cahiers naturalistes, n°80, 2006, p.215-236.
-« La biblioteca francesa del Marqués de Riscal », La cultura del otro: español en Francia, francés en España, Actas del Primer Encuentro Hispano-francés de investigadores SHF-APFUE, Sevilla, 29 de noviembre-2 de diciembre de 2005, http://www.culturadelotro.us.es, février 2007, p.251-261.
- « Leopoldo Alas Clarín », Diccionario histórico de la traducción en España, Universidad de Barcelona, Madrid, Gredos, 2008.
- « Ante todo y ante todos, Camilo Hurtado de Amenaza, Marqués de Riscal», Herederos del Marqués de Riscal ed., 2008
- « Leopoldo Alas traducteur », Hommage à Jacques Poulet, Hors-Série Textures, Lyon, 2011, p.107-116.
- Camilo Hurtado de Amenaza, Marqués de Riscal, un aristócrata entre Europa y Álava, biographie [inédit inachevé]
- « Advenimiento de la homeopatía en España : un hablar científico entre predicación y oratoria », Los discursos de la ciencia y de la literatura en España (1875-1906), eds. S. Hibbs y C. Fillière, Vigo, Editorial Academia del Hispanismo, 2015, pp.171-184.
Setty Alaoui Moretti, Doyenne de la Faculté des Langues de l’Université Lyon 2
Joseph Tchalian, ancien Vice-Président de l’Université Lyon 2
Solange Hibbs-Lissorgues, Professeure émérite d’Etudes hispaniques dix-neuvièmiste et fondatrice du Centre de Traduction, Interprétation et Médiation linguistique (CeTIM) de l’Université Jean Jaurès Toulouse 2
Yvan Lissorgues Professeur émérite de Littérature Espagnole de l’Université Jean Jaurès Toulouse 2 et romancier